Revue Guernica, Spécial Kosovo, Mai 1999.
En février 1999, pendant les négociations de Rambouillet, deux membres de notre association se sont rendus au Kosovo pour rencontrer la population, en savoir plus sur la situation et voir les possibilités de soutenir la population albanaise du Kosovo. Les documents ci-dessous sont issus de cette mission citoyenne.
"L'étudiant albanais durant la dernière décennie !" par Vigan Rogova et Samir Reka
"Studenti shqiptarë gjat dekadës së fundit" par Vigan Rogova et Samir Reka
"Interview de M.Mustafa Xhemajli, porte-parole de la LDK"
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Maison détruite par les forces serbes qui servait d'école pour la communauté albanaise (Kosovë, 1998)
L’étudiant albanais durant la dernière décennie !
Par Vigan ROGOVA et Samir REKA
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ous écrivons ces lignes à nos amis en Europe, mais ne les lisez pas de façon malheureuse car nous ne demandons pas de pitié mais de la justice. Nous sommes nous-mêmes étudiants en droit et nous combattons l'injustice ; nous pensons qu'auprès de vous nous allons trouver un soutien dans notre combat contre l'injustice. Et pourtant, malheureusement cette dernière décennie a été tout sauf juste envers nous
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n avril 1990, le régime serbe a entrepris d'empêcher les étudiants albanais de suivre leurs études dans les bâtiments universitaires en jetant dans la rue toute une génération d'étudiants, mais nous ne nous sommes pas pliés à leur volonté de nous rendre analphabètes au seuil du XXIème siècle. Les cours ont continué dans des conditions catastrophiques, dans des maisons privées, où les portes et les fenêtres ne se fermaient pas bien, assis sur des planches, hiver comme été. En hiver, nous nous chauffions avec un chauffage de fortune qui était plus symbolique qu'efficace. En juin 1991 pour protester contre les mesures de répression contre l'éducation en langue albanaise a commencé une grève de la faim à la Faculté de Technologie où après 10 heures la police a fait sortir par la force les grévistes, tandis que le 28 le parlement serbe de manière anticonstitutionnelle votait les « mesures extraordinaires» contre l'Université de Prishtina en licenciant 260 professeurs albanais de l'Université et 6000 enseignants en général. Le recteur serbe a invité tous les Serbes de Croatie et de Bosnie à venir étudier au Kosovo en leur promettant des bourses, un dortoir et d'autres choses, car les étudiants serbes qui restaient ne pouvaient même pas remplir à 20% les capacités de l'Université. Durant cette période, les Albanais ont organisé de nombreuses manifestations pour qu'ils puissent eux aussi étudier dans les locaux de l'Université, mais toutes ces manifestations ont été interrompues par la force. Comme le régime serbe avait commencé une guerre dans les autres territoires de l'ex-Yougoslavie, il a commencé à emmener des recrues albanaises pour la guerre, c'est pourquoi de nombreux étudiants ont été forcés à quitter le Kosovo.
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e 2 mars 1996 le président du Kosovo, le Dr. Rugova et Milosevic
signent « l'accord sur l'enseignement », dans lequel il est stipulé
que les étudiants albanais vont pouvoir regagner les bâtiments universitaires,
mais cet accord na pas été réalisé jusqu'à aujourd'hui. L'échec de l'accord
conduit les étudiants albanais à encore plus de frustration, c'est pourquoi de
nouvelles manifestations ont été organisées. L e 1er octobre 1997 aurait dû être la première journée de la nouvelle année académique, et pour notre génération la première journée d'études.
Cependant nous avons passé cette journée-là, nous lavons attendue sous la fumée
de gaz lacrymogènes. (plus tard nous avons appris que ce gaz avait été mélangé
à une dose de sarine), sous les coups des matraques et des coups de pied de la
police serbe. Cette manifestation du 1er octobre, même si elle avait un caractère
pacifique et non violent, laissa derrière elle plus de 200 manifestants blessés.
Après cette manifestation, d'autres toutes aussi importantes que celle-ci se
sont déroulées jusqu'à ce que la guerre éclate au début de l'année 1998.
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a guerre au Kosovo a eu une conséquence encore plus grave sur la situation des étudiants. Elle a rendu encore plus difficile la position des étudiants albanais, et surtout celle des étudiants venant des zones où la guerre avait éclaté. Ils ont du interrompre leurs études pour défendre leur maison et leur vie. Les autres étudiants qui ont continué leurs études pendant la guerre ont été en danger à chacun de leur pas. Ils étaient frappés, enlevés et tués, maltraités dans la rue, ils devaient cacher leurs livres en albanais. Mais malgré tout, ils sont arrivés à étudier et à obtenir des
résultats. Këta rreshta po i shkruajmë shokëve dhe miqëve tanë në Evropë, por në këta rreshta mos shikoni në mënyrë mëshiruese sepse ne nuk kërkojmë mëshirë por drejtësi. Vet ne jemi student të drejtësis dhe luftojmë padrejtësin, por besojmë se edhe tek ju do të gjejmë mbështetje në luftën kundër padrejtësis. Mirëpo, fatkeqësisht dekada e fundit ka qenë çdo gjë përveq e drejtë ndaj
nesh. Me presionin e madh ndërkombëtar, por edhe për të dhënë një pasqyrë kinse demokratike, regjimi sërb liroj vetëm një objekt universitar atë të Fakultetit teknik, në qershor të vitit 1998. Profesorët dhe studentët sërb që veprojnë në Kosovë kundërshtuan ashpër këtë hap të regjimit duke e komentuar këtë si tradhëti. Ata filluan një sërë protestash kundër kthimit të studentëve shqiptar në
objekte me parulla si tradhëti, mos iu jepni lapsat, ata shkojnë në
universitet për të mësuar terrorizmin, etj. Me 15 shkurt 1999 lirohet
edhe objekti i Fakultetit Juridik dhe Ekonomik, kushtet e mësimit sadopak me këtë
kanë filluar të përmirësohen, mirëpo situata jashtë fakultetit vazhdon të
jetë e tensionuar ngase studenti shqiptarë dhe shqiptarët në përgjithësi
vazhdojnë të mbesin një objekt terrorizmi shtetëror, ne nuk kemi të drejta
elementare si në gjuhën amtare, kulturë, shkencë, arsim etj. mirëpo përkundër
kësaj ne studiojmë dhe jetojmë me një shpresë për një ardhmëri më të
mirë e të lumtur në Evropë së bashku me kolegët tanë, me ju dhe presim që
në këtë të na përkrahni dhe ndihmoni që drejtësia të mbizotroj. objekte
J e m'appelle Agim Hyseni et je suis le président du
syndicat de l'éducation, de la science et de la culture au Kosovo, et je suis professeur de sociologie à l'université de Pristina. En ce qui concerne la situation de l'éducation au Kosovo, je peux dire que depuis 1990, toutes les institutions du Kosovo ont été suspendues : la constitution, le gouvernement, le parlement, la présidence. L'éducation albanaise a été interdite juste à cause de l'origine albanaise de la population. Cela veut dire que la politique officielle au Kosovo visait à changer la composition ethnique du Kosovo, (qui est peuplé à 90% d'Albanais), comme cela a été déclaré au parlement serbe en juin 1991. Il s'agissait aussi de changer cette structure ethnique par la colonisation, avec des Serbes issus d'autres parties de l'ex-Yougoslavie, principalement de Croatie, de Bosnie, et de Serbie. Tout d'abord, les Albanais ont été renvoyés de leurs emplois. Ce qui s'est passé dans l'éducation a été similaire à ce qui s'est passé dans d'autres domaines. Tout d'abord, ils ont suspendu par la force la constitution du Kosovo. Ensuite, ils ont mis en place une loi spéciale. Une loi qui a été adaptée à partir du gouvernement serbe et qui a été utilisée uniquement contre les Albanais. En vertu de cette loi, tout Albanais qui est absent de son travail pendant deux jours ou plus, peut être licencié. Et en plus, ils n'ont même pas respecté les lois discriminatoires qu'ils ont mises en place. Cela veut dire que 90% de la population, dans une partie de l'ex-Yougoslavie, a été mise hors-la-loi. Les gens ont été privés de tous leurs droits, et la police est devenue une institution qui avait le droit de prendre n'importe quelle décision concernant les Albanais, et pouvait même les tuer, sans aucune entrave. Dans ces circonstances, il a été très dur de résoudre les problèmes qui se présentaient à nous au Kosovo, mais nous avons essayé de nous partager les tâches et les responsabilités dans différents domaines. En tant qu'enseignants, nous avons essayé de résoudre le problème de l'éducation et de nous battre pour un droit qui est un droit fondamental reconnu par tous les principes internationaux. Donc, comment nous organiser ? C'était un sérieux problème pour nous professeurs, sans aucune expérience des associations indépendantes, et dans des circonstances très dures. Donc, nous avons mis en place, premièrement, le syndicat de l'éducation, de la science et de la culture, en tant qu'association indépendante, conjointement au syndicat des travailleurs de santé du Kosovo. Ils ont été les deux premiers syndicats indépendants. Ils étaient ouverts à des membres d'origines différentes par de nombreux aspects : origine nationale, croyances, confessions, etc... Pendant les tous premiers moments, nous avions parmi nos membres beaucoup de Serbes, de Monténégrins, des Turcs, des Musulmans, des Tsiganes et des membres d'autres minorités ou d'autres groupes ethniques. Nous avons essayé d'inclure toutes les forces de bonne volonté pour résoudre le problème, dans l'intérêt de tous. Nous avons dû faire entrer dans notre système éducatif plus de 400.000 élèves et étudiants, et plus de 800 maisons (bâtiments). C'est un nombre important de bâtiments. Certains bâtiments, qui n'étaient pas du tout adaptés (aménagés) ont été mis à notre disposition par des parents et des citoyens albanais qui voulaient aider au
Sous la pression internationale, et pour donner une image soi-disant démocratique, le régime serbe a libéré seulement un bâtiment universitaire, celui de la Faculté technique, en juin 1998. Les professeurs et les étudiants serbes qui travaillent au Kosovo se sont déclarés fortement contre cette ouverture du régime en la qualifiant de trahison. Ils ont commencé une série de manifestations contre le retour des étudiants albanais dans leurs facultés en brandissant des textes comme « trahison », « ne leur donnez pas de crayon », « ils vont à
l'université pour apprendre le terrorisme », etc. Le 15 juin 1998 sont
libérées aussi la Faculté de droit et la Faculté d'économie. Les conditions
de travail ont commencé à s'améliorer, mais la situation en dehors de
la Faculté continue à être tendue car les étudiants albanais et les Albanais
en général continuent à être un objet du terrorisme d'Etat. Nous n'avons pas
nos droits élémentaires comme le droit à sa langue maternelle, la culture,
la science, l'enseignement, etc ; malgré tout nous continuons à étudier et
nous vivons dans l'espoir que l'avenir sera meilleur et plus heureux en Europe
avec nos collègues, avec vous et nous espérons que vous allez nous aider et
nous soutenir pour que la justice gagne.
Në prilli të vitit 1990 regjimi sërb filloi largimin e studentëve nga objektet universitare duke lënë në rrugë një gjeneratë të tërë studentësh, por ne nuk iu nënshtruam dëshirës së tyre që të mbesim analfabet në prag të shekullit XXI. Mësimi vazhdoi në kushte katastrofale, në shtëpi private pa dyer e dritare që do të mbylleshin mirë, të ulur në dërrasa dhe kështu verë e dimër e në të ftohtë ku nxeheshim me një nxemëse me tre tela e cila ishte më shumë simbolike se sa që nxente. Në qershorin e vitit 1991 për të protestuar masat represive kundër edukimit shqiptar filloi greva e urisë në Fakultetin Teknik ku pas 10 orëve policia me forcë nxorri grevistët jasht, ndërsa me datën 28 parlamenti sërb në mënyrë
jokushtetuese miratoi masa të jashtëzakonshme ndaj Universitetit të Prishtinës
duke suspenduar 260 profesor shqiptarë të universitetit dhe 6000 mësimdhënës
në përgjithësi. Rektori sërb fton të gjithë sërbët nga Kroacia dhe Bosna
të vijnë dhe studiojnë në Kosovë duke u premtuar bursa, konvikte dhe gjëra
tjera, pasi që studentët e mbetur sërb nuk mund të plotësonin as 20% të
kapaciteteve universitare. Gjat kësaj kohe shqiptarët organizuan shumë
protesta për lejimin që edhe ata të mësojnë në objektet e mëparshme, por
të gjitha këto protesta u shuan me forcë. Pasi që regjimi sërb kishte
filluar luftën me pjesë tjera të ish-Jugosllavis, filloi të marr regrut
shqiptarë për luftë, prandaj shumë student u detyruan të braktisin Kosovën.
Me 2 shtator 1996 kryetari i Kosovës Dr. Ibrahim Rugova dhe Millosheviqi nënshkruajn
Marrëveshjen për arsim në bazë të së cilës parashikohet kthimi i studentëve
shqiptarë në objekte, mirëpo kjo marrëveshje nuk është implementuar ende
gjër më sot. Dështimi i marrëveshjes sjell frusturim edhe më të madh në
mesin e studentëve, prandaj fillon organizimi i protestave të reja.
1 tetor 1997 do të duhej të ishte dita e parë e vitit të ri akademik, ndërsa për gjeneratën tonë dita e parë e studimeve, mirpo këtë ditë ne e pritëm në tymin e gasit lotësjellës (ku më vonë u mësua se kishte qenë i përzier me një dozë sarini), shufrave të gomës dhe shqelmave të policëve sërb. Kjo pra ishte protesta e 1 tetorit e cila edhe pse kishte qenë paqësore dhe joviolente la mbrapa më së 200 protestues të lënduar e të plagosur. Pas kësaj proteste vazhduan edhe shumë protesta të tjera të cilat jo më pak të rëndësishme deri në plasjen e luftës në fillim të vitit
1998.
Lufta në Kosovë pati një ndikim të madhë në situatën e studentëve ajo vështërsoj edhe më tepër pozitën edhe ashtu të vështirë të studentëve shqipëtar, sidomos të atyre nga zonat të përfshiera në luftë, këta u detyruan që
ti lënë studimet për të mbrojtur vatrat dhe jetën e tyre. Studentët tjerë
që vazhduan studimet edhe gjat luftës ishin të rrezikuar në çdo hap. Ata
rrahen, kidnapohen dhe vriten, në rrugë maltretohen, librat shqip duhet ti
fshehin dhe prapseprap arritën që të mësojnë dhe japin rezultate, përkundër
gjendjes psikike që ’i lënë vete.
maintien de l'éducation des jeunes générations. Mais après cela, ce n'était pas assez, car pendant l'hiver il faut trouver de quoi payer le chauffage, il faut aussi remplacer les fenêtres si elles ont été cassées, acheter des chaises, etc...etc...! C'est pour cela que notre syndicat, lors de son congrès de 1991, a pris la décision
d'inclure toutes les associations et tous les partis politiques du Kosovo et de
leur proposer un projet (plan) d'autofinancement. Ce projet a été accepté par
tous les partis politiques, y compris par le président de la coordination des
partis politiques, M. Rugova, et ils ont demandé à notre gouvernement en exil
de s'en occuper. Ce projet existe toujours, sur les bases suivantes : chaque
citoyen volontaire donne 3% de son revenu par mois s'il est à l'étranger et 5%
s'il est au Kosovo. Cela semble être une grande différence, mais 3% du salaire
des travailleurs albanais à l'étranger, c'est beaucoup plus que 5% des
salaires du Kosovo. Car 5% de, disons 150 Deutschemark, c'est
beaucoup moins que 3% de 3000 DM. Le système a commencé à fonctionner, et
pendant un moment, nos finances ont bien fonctionné, et c'était
approximativement 150 DM par mois. Nous utilisons des DM
car beaucoup d'Albanais travaillent en Allemagne. Il y en a aussi en Australie, aux Etats-Unis, dans les pays scandinaves, en France et en Europe de l'ouest.
Il y a aussi un autre gros problème auquel nous devons faire face: de temps en temps, la police encercle, par exemple, la place d'un marché, et contrôle tous les Albanais qui s'y trouvent, et confisque tout l'argent étranger qui est dans leurs poches. Afin de pouvoir transférer de grosses sommes, 1 million ou 2 millions de Marks, il a été décidé d'ouvrir un compte en banque à Tirana, et de créer un comité d'autofinancement à Pristina. Il a été proposé qu'un de nos membres, M.Chatri, soit le secrétaire de ce comité. Si des hommes d'affaires veulent acheter quelque chose à l'étranger, ils peuvent envoyer leur argent au Comité à Pristina, on leur donnera un reçu; avec ce reçu, ils peuvent ordonner à la banque de Tirana - la banque Tatiana - d'envoyer cette somme d'argent au compte en banque à l'étranger et ainsi ils peuvent faire le transfert. Par exemple, s'ils veulent acheter 100 livres d'histoire à Paris, ils diront à la banque de Tirana d'envoyer l'argent au compte en banque de la maison d'édition de Paris, mais leur argent restera à Pristina. Voilà comment nous avons mis en place un système de fonctionnement financier. D'autre part, nous ne pouvons pas garder l'argent. Nous devons immédiatement le verser aux enseignants pour éviter le risque de confiscation par la
police.[...]
Après cela, nous avons essayé d'ouvrir un système d'ambulances pour l'école. Parce que chaque année nous avons de nouveaux (jeunes) docteurs en médecine, donc c'est dans leur intérêt de mettre en pratique leurs connaissances. Leurs diplômes ne seront pas reconnus par les hôpitaux sous contrôle serbe, donc nous leur avons offert la possibilité de continuer leur travail comme médecins et infirmières dans les ambulances scolaires. Tout d'abord au niveau primaire où nous avons encore certains bâtiments en fonction, et ensuite, ils continueront au niveau de l'université. Depuis 89 , 92, 94, des enseignants ont été tués par la police lors de gardes à vue, juste parce que la police les avait trouvés en train d'enseigner. Cela veut dire que la vie des enseignants était menacée juste à cause de leur profession. Il y a eu des cas où la police a forcé des élèves à avaler le papier de leurs cahiers, juste pour les menacer de les faire disparaître. (les tuer?). Donc il y a eu d'énormes difficultés pendant cette période depuis février de l'année dernière jusqu'à février de cette année. Depuis que la guerre a commencé au Kosovo, 52 enseignants ont été tués. Ils ont été agressés dans leurs maisons ou massacrés par la police. Ce qui veut dire que les enseignants ont toujours été une des cibles principales du système de répression. Et nous avons toujours un de nos collègues en prison, juste à cause de ses convictions. Nous avons donc de quoi dire sur la torture, sur les emprisonnements, sur la répression quotidienne qu'ils subissent. Nous pouvons faire une longue liste des tortures qu'ils ont subies chaque jour. Par exemple, ils ont tailladé au couteau , sur un élève , une croix (en forme de?) S cyrillique - cela a été publié sur la 1ère page d'Amnesty International. Nous avons eu beaucoup de cas semblables pendant
cette période. Mais, cependant, la détermination des enseignants à continuer à exercer leur métier a été très forte. Je vais juste illustrer cela en citant l'exemple de (tel endroit). Tous les professeurs qui étaient en train d'enseigner pendant la deuxième séquence (shift) à l'école secondaire, ont été arrêtés. Ils ont tous été mis en prison pour 15 jours, juste parce qu'ils enseignaient en langue albanaise. Après 15 jours, ils ont été libérés. Eh bien, ils ont fait ceci: à leur sortie, ils sont d'abord allés en classe pour continuer à enseigner, et après, ils sont rentrés chez eux. Cela montre la détermination des professeurs, et ceci malgré l'absence de droits sociaux pour eux-mêmes et leurs enfants. (Bien que notre association se batte pour assurer un financement). Mais la volonté des enseignants est de continuer le processus d'enseignement pour les 400.000 élèves à tous les niveaux du système éducatif depuis les années 90. Dans des circonstances où on nous prive de tous nos droits juste à cause de notre origine nationale.
Le 2 sept 96, un accord a été signé entre Milosevic et M. Rugova sur la
normalisation de l'éducation, avec le concours d'un médiateur du Vatican. Le 3 mars 98, le même accord a été re-signé, mais jusqu'à maintenant, cet accord n'a
jamais été pleinement respecté. Seule une petite partie (10%) est respectée, parce que 42 écoles primaires, 50 écoles secondaires, 9 facultés de l'université de Pristina de même que 6 "collèges" de l'université de Pristina ne sont pas autorisés par les autorités serbes à ouvrir à cause des mesures répressives, donc même maintenant, en février 99, l'accord n'est pas respecté.
Auparavant, les Serbes ont mis en place un système d'apartheid à tous les niveaux de l'éducation. Ils ont séparé les élèves, par des murs, dans les écoles primaires et secondaires. Les élèves appellent cela "les murs de la honte" ou "les murs de Berlin". Normalement, la plus grande partie des bâtiments est confisquée et utilisée uniquement par les élèves serbes. Certaines parties peuvent être laissées aux albanais. Ils doivent travailler parfois en 5 séquences. Les cours doivent durer moins de 35 minutes. Et vous pouvez imaginer que si la dernière séquence commence à 18 heures... Vous pouvez remarquer qu'à cette heure-là, la capitale est une ville morte, à cause de la menace des bombes et des attaques terroristes. Donc cela veut dire que pour les parents, c'est un souci énorme. Ils doivent veiller à accompagner les enfants à l'école et à les ramener ensuite.
Donc il y a ici un système d'apartheid unique au monde, et qui a été mis en place juste au moment où l'apartheid était supprimé en Afrique du Sud. Et en plus il concerne tous les niveaux du système éducatif, depuis le primaire jusqu'à l'université. Mais le niveau de l'apartheid et de la discrimination ici a même surpassé ce qui se passait en Afrique du sud. Quand nous nous sommes rencontrés au Zimbabwe et que j'ai rencontré mes collègues du syndicat principal d'enseignants d'Afrique du sud, pour échanger des informations sur les situations relatives à l'apartheid, l'un de mes collègues m'a dit que nous devions faire face à plus que de l'apartheid. Parce que c'était chez eux un apartheid très cruel, basé sur la différence de couleur, mais les enseignants, dans les écoles "séparées" avaient quand même certains droits: le salaire, l'accès à certains avantages sociaux.... Mais ici au Kosovo, les Albanais n'ont même pas ce genre de droits, et parfois même leur droit à la vie est menacé, parce qu'ils enseignent. C'est donc un apartheid très dur que nous devons
subir.
Cependant, même dans ces conditions, nous sommes déterminés à essayer d'améliorer les conditions de travail des enseignants. Nous essayons de garder le contact avec des syndicats d'enseignants aux niveaux national et international, et, grâce à leur aide, de prendre contact, comme nous l'avons fait, avec les dirigeants d'organismes internationaux majeurs, comme l'Unesco et l'Unicef. Nous avons été invités, et nous les avons rencontrés à Paris et à Washington. Nous ne pouvons rien faire sans leur soutien ou le soutien de syndicats internationaux.
Nous fonctionnons en tant que syndicat, nous avons environ 30.000 membres mais bien sûr nous ne relevons pas de cotisations, car comment pouvons-nous demander des cotisations à des enseignants qui ont bien du mal à subvenir à leurs besoins les plus élémentaires? Donc nous fonctionnons sur la base du volontariat et du soutien de citoyens albanais ici ou à l'étranger, ou d'organismes internationaux.
- Recevez-vous de l'argent directement de la population?
-Non. Non, parce que nous sommes très stricts. Si quelqu'un veut donner de l'argent, financer le système éducatif, nous voulons que cela se fasse par le biais d'une institution. Nous gérons toutes les donations de syndicats nationaux, à un niveau international. Cela veut dire que, par exemple, l'année dernière, nous avons reçu environ 100.000 Deutschemarks. C'est une somme très symbolique, mais elle est très importante pour nous. Ce fond de solidarité, nous devons le reverser à nos membres jusqu'au dernier centime. Rendez-vous compte: avec cet argent nous devons porter assistance aux familles des 52 enseignants qui ont été tué. La première somme était de 150 DM. C'est tout juste assez pour un mois! Ceci en ce qui concerne les professeurs. Nous devons aussi aider les élèves devenus orphelins. Ce ne sont pas nos membres, mais ce sont des êtres humains, comme les parents, comme les enseignants, et donc nous les aidons. Comment pouvez-vous développer votre système éducatif si vous savez qu'un élève n'a pas de quoi manger, ou n'a pas de maison, ou de médicaments? Donc nous essayons aussi de les inclure. Cette année nous avions seulement 60.000 cahiers, mais même dans ces circonstances nous essayons de développer la créativité. Nous essayons de publier de l'information, de publier des magazines, d'organiser des concours de peinture. Et c'est une chose que nous trouvons très intéressante, pas seulement à cause de la créativité, mais parce-que cela leur permet d'exprimer, de faire ressortir toutes les émotions qu'ils ont ressenties pendant toute cette période. Tout jeune, ils ont vu leurs parents, des membres de leur famille se faire tuer par la police ou par les forces militaires. Donc, vraiment, nous essayons de mettre quelque chose en place et.....cela peut aussi être très important pour d'autres associations humanitaires qui sont ici et qui sont intéressées pour coopérer et développer des activités
- Quels sont les sentiments des étudiants? Que pensent-ils de la situation?
- Les étudiants à l'université sont dans une situation extrêmement difficile à cause de leur âge et de leur conscience des choses. Certains obtiennent un diplôme. Par exemple, le diplôme de professeur d'histoire. [....] Mais ils savent bien qu'ils n'ont aucune perspective ici parce qu'ils sont Albanais, et que même leurs meilleurs professeurs ont été licenciés parce qu'ils étaient Albanais eux aussi! [....] Donc ils sont très radicaux. Parce qu'ils ne veulent pas quitter le pays, ils veulent être considérés comme des êtres humains égaux aux autres. [...] Nous avons de très bons étudiants, ils sont très motivés.[....] Si le système décidait de fermer toutes les écoles albanaises, la détermination des élèves et des professeurs serait plus forte que dans d'autres circonstances. Pendant l'année scolaire 91-92, ils ont essayé d'expliquer que les Albanais avaient le droit à l'éducation et avaient le droit de s'inscrire dans les écoles secondaires et peut-être aussi dans le département de la langue albanaise mais pas à l'université.
Nous avons les chiffres du nouveau système d'inscription des élèves albanais après ces mesures. Pendant l'année scolaire 91-92, nous avons vu que seulement 27% des élèves qui sortaient de l'école primaire avaient le droit de continuer dans le secondaire, alors que les chiffres pour la langue serbe s'élevaient à 117%! Comment pouvons-nous expliquer 17% au-dessus de 100? C'était seulement dû à la stratégie des Serbes de changer la structure ethnique du Kosovo, de renvoyer les Albanais et d'établir la colonisation par des Serbes venant essentiellement de Krajina. Mais ils ont aussi de grosses difficultés pour les faire venir ici car ils ne veulent pas passer d'une situation difficile à une autre. Et ils ont davantage d'expériences que d'autres pour savoir ce que cela veut dire. Milosevic joue avec eux, il ne se soucie pas d'eux, il n'a que des intérêts d'ordre matériel. C'est pourquoi ils n'ont pas réussi, même pendant cette période, avec la répression, avec des persécutions quotidiennes, avec des condamnations à de lourdes peines de prison, avec des massacres, et quelque chose de très spécifique: la pratique de la torture quotidienne sur des enseignants devant leurs élèves - et tout cela tous les jours. Tout ceci pour nous dire: "vous n'avez pas d'avenir ici, et si vous ne voulez pas que tout cela vous arrive demain, que vous soyez élève ou professeur, vous devez quitter le pays". Nous avons eu en 10 ans plus de 400.000 réfugiés dans des pays étrangers. C'est un nombre important pour un petit pays comme le nôtre. Ils veulent tuer notre sens de la dignité, de la justice, notre croyance en l'avenir. Et ils le feront sans aucune restriction et peut-être même qu'ils l'intensifieront. Les policiers, les hommes
politiques deviendront plus cruels envers nous.
- J'aurais une question à propos des réfugiés. Nous avons appris que de 200 à 400 villages avaient été détruits. Quelle est la situation concernant l'éducation, pour ces
gens?
- Même dans cette situation, l'éducation a pu se faire, dans la majorité des cas. Dans des tentes, pour 150.000 élèves dans différentes régions du Kosovo, du Monténégro et d'Albanie. Nous avons veillé à ce que ces enfants aient des manuels de classe gratuits, venant d'une maison de publication indépendante du Kosovo, et des cahiers fournis par notre syndicat de l'éducation du Kosovo et d'autres syndicats ainsi que d'autres associations à l'étranger.. Donc nous avons veillé à les inclure tous, dans la mesure du possible, dans notre système éducatif.
- Pensez-vous que nos organisations d'étudiants ou d'enseignants puissent aider ces
gens?
- Oui, vous pouvez nous procurer des cahiers, des blocs de papier blanc pour la peinture, des aquarelles, des crayons, ce serait très simple mais très important, juste pour leur dire que quelqu'un pense à eux.
Interview avec Mustafa Xhemajli,
Porte-parole d'Ibrahim Rugova dans les locaux du LDK.-- Fin février 1999.
- Qu'attendez-vous de l’accord de Rambouillet? ...s'il y a un accord.
- La délégation serbe cherche à diviser l'accord en deux parties: la partie politique et la partie militaire. Pour le côté politique, ils acceptent de coopérer mais pas pour le côté militaire. L'équipe de négociation, incluant le groupe de contact, sait que l'accord ne peut pas être obtenu (complied) sans troupes sur le
terrain.......
Donc nous faisons tout ce que nous pouvons pour que les négociations de Rambouillet
aboutissent.
- Est-ce que vous soutenez le combat de l'UCK? Je, veux dire, votre formation politique (le soutient-elle)?
- La population du Kosovo s'est prononcée par référendum pour l'indépendance du Kosovo. C'est le programme de tous les partis politiques au Kosovo et de l'UCK. Donc le seul but de tous les partis politiques et aussi de l'UCK est l'indépendance du Kosovo. Et l'UCK est prête à accepter un accord partiel de 3 ans jusqu'à l'indépendance. Après 3 ans il y aura un référendum et là, la population décidera si elle veut l'indépendance ou non.
- Accepteront-ils de rendre leurs armes?
-
L'UCK a un commandement suprême et elle décidera s'ils vont rendre les armes ou pas. Mon opinion est que les premiers à laisser les armes doivent être
la police et les militaires serbes parce qu il est naïf de laisser les armes.
Donc l'UCK est venue ici, ils n'ont pas d'autre endroit où aller. Les militaires et la police serbes doivent s'en aller. Ils sont spécialement concentrés au Kosovo, donc ils doivent
partir.
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- Si l'indépendance du Kosovo est un jour obtenue, pensez-vous que le Kosovo indépendant devrait entrer dans l'Union Européenne?
- Ce n'est pas seulement que nous voulons être indépendants, mais notre avenir doit être également dans l'Europe car nous sommes une partie de l'Europe et nous voulons entrer dans l'Union Européenne en tant qu'État indépendant.
- Hormis le fait d'apporter diverses choses avec le convoi humanitaire, nous sommes tous les deux venus pour nous faire une opinion sur la situation dans le domaine universitaire, sur les étudiants, sur l'éducation en général. Quelles sont les conditions? Quelle est la situation? Et, en particulier, que pourrions-nous faire pour mettre en place des jumelages ou des associations entre des étudiants français et albanais, entre universités
?
- La guerre au Kosovo a affecté la situation des étudiants. Ils sont en danger. L'université à Pristina a environ 23.000 étudiants (et élèves). Ils sont dans 17 universités et 7 lycées. Il y a 5 autres lycées en dehors de Pristina, dans d'autres villes. (Il en donne les noms.)
L'Université de Pristina a pris contact avec d'autres universités et aussi, nous avons été "nominés" pour le Lara/Laura? Prize (Prix Lara), d'une organisation d'étudiants en Europe, et nous allons peut-être le
gagner.
- Que pouvons nous faire concrètement ?
- Nous savons que nous ne pouvons rien faire. Nous attendons, comme vous, l'avenir. Nous attendons les réponses de Rambouillet. Nous essayerons d'obtenir d'autres contacts, comme ceux que nous avons avec vous, nous essayerons de rencontrer des professeurs d'université, et nous verrons si nous pourrons à l'avenir signer une convention pour favoriser des échanges entre étudiants, ou pour voir si nous pourrions faire venir ici des professeurs d'université (français) pour vous aider, mais bien sûr, nous ne demandons rien. Tout ce que nous désirons, c'est vous connaître, et ça c'est
important.
- C'est un premier pas. Nous avons vu beaucoup de gens, pour voir comment votre pays fonctionne. Y a-t-il une classe que nous pourrions visiter maintenant ?
- Vous savez, la situation est très difficile ici, c'est très dangereux. La population albanaise attend la fin de la conférence de Rambouillet. En ce moment la plupart d'entre eux sont dans leur maison. La population a peur des
massacres... parce que nous ne savons pas quel est le résultat de la conférence. Donc, aujourd'hui, une visite n'est pas possible, vous
comprenez...
Au Kosovo, davantage de militaires serbes sont venus. Dans les rues de Pristina, ils sont là, donc aujourd'hui ce n'est pas possible. Mais vous connaissez notre bureau maintenant, nous vous donnerons notre numéro de téléphone, comme ça nous pourrons
parler.
- Nous voulons surtout exprimer notre solidarité. Nous voulons pouvoir garder le contact pour l'avenir. On ne sait jamais ce qui va se passer, donc nous voulons garder le contact maintenant. Nous devons voir si nous devrons nous battre politiquement en France, quand nous serons de retour.
- Les contacts entre l'université de Pristina et une université en France dépendent aussi des résultats de la conférence, car nous ne sommes pas seulement une organisation, nous avons une influence sur l'opinion publique au Kosovo - nous avons lancé une protestation pacifique en 1997 ; nous attendons les résultats. Peut-être que les étudiants ne seront pas d'accord avec cet accord.... alors nous ne savons pas comment sera la suite.