Revue Guernica, Spécial Kosovo, Mai 1999
Kosovo : La gauche radicale au pied du mur. Par Edmond Grimberg
Il faut arrêter Milosevic. Par Christophe Belaubre
Le Kosovo et la Serbie ont besoin d'une intervention internationale mais pas n'importe laquelle. Par Samuel Chopin
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Kosovo : La gauche radicale au pied du mur.
Par Edmond GRIMBERG
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ous voudrions poser ici quelques questions nous réservant d'y revenir ultérieurement
plus en détail. Pourquoi la gauche selon notre cœur la gauche dite radicale ,
si étrangement absente, hier, de la défense du peuple bosniaque, est-elle,
aujourd'hui, si réticente, à prendre, sans ambiguïté, fait et cause pour le
peuple kosovar ? C omment se fait-il que des courants politiques, qui mettent volontiers en avant leur réceptivité et leur sensibilité aux problèmes «des gens», soient restés si longtemps à peu près de marbre devant les souffrances multiples infligées à la population kosovare par les « purificateurs ethniques »
des bandes nazies au service de l'occupant serbe ? A vec quelles lunettes voient-ils la réalité, eux qui sont demeurés aveugles
(et muets) tant que la guerre oui ! la guerre la guerre la plus sauvage, la
plus barbare, n'était faite qu'au peuple croate, bosniaque, kosovar, mais qui réagissent
au quart de tour dès les premières bombes tombées sur la Serbie, découvrant
alors, alors seulement, la guerre, l'urgence ; alléguant tout à coup l'absolu
de la défense de la paix qui, de 1991 à 1999, ne leur avait jamais sauté aux yeux. L a colère, la tristesse profonde nous saisissent devant cette longue incurie, devant cette longue complicité
par le silence et l'omission, devant les palinodies et les tartuferies des prétendus
rééquilibrages de ces derniers jours. ( Qua t-il produit ? ceci : on dénonce,
maintenant, autant" (!) Milosevic que l'Otan....Imaginons, rien qu'un
instant, qu'en Angleterre, par exemple, des pacifistes aient manifesté avec des
banderoles dénonçant et Mordekhaï Anielewicz chef de l'insurrection du ghetto
de Varsovie et le général Waffen SS Jürgen Stroop qui lui faisait face.....). Obsèque des victimes de Racak,
photo KMDLNJ, 1999 Il faut arrêter Milosevic. Par Christophe BELAUBRE « Le Kosovo est un crime annoncé, et les crimes annoncés sont les plus terribles de tous » Ismaël Kadaré. L' épuration ethnique est en cours au Kosovo. Comme en Bosnie, les mêmes forfaitures sont commises par des bandes paramilitaires qui reçoivent des ordres des plus hauts responsables politiques et militaires serbes. L'épuration
ethnique, encore, à peine trois ans après les accords scélérats de Dayton. L'épuration
ethnique malgré les avertissements multipliés [13], malgré l'évidence des
dérapages nationalistes en Serbie [14] .
Face à cette atrocité, la communauté internationale (une alliance militaire de 19 pays) a réagit. Il est moralement impossible de la condamner, (d'autant que pour mémoire les bombardements sur Belgrade lors de la seconde guerre mondiale en quelques heures firent
20 000 victimes) mais il faut aller plus loin : armer le peuple Kosovar et intervention au sol. C e scénario était pourtant largement prévisible. Nous
savions l'interdit qui pesait sur ce peuple. Nous savions que le régime
de Milosevic se nourrit de la haine à l'encontre de la minorité
albanaise. L'OTAN ne pouvait ignorer que le déclenchement des bombardements
provoquerait une accélération du nettoyage ethnique déjà largement entamé.
Il fallait dès le début envisager l'intervention terrestre sur les mêmes
bases juridiques qui ont autorisé les bombardements c'est à dire les résolutions
1199 et 1203 du conseil de sécurité de l'ONU.
S
i Milosevic ne pratique pas le culte de la personnalité, largement passé de mode, il contrôle
dune main de fer tous les rouages du pouvoir en Serbie. Toute sa politique
repose sur la défense de l'identité serbe prétendument menacée
et sur la progressive homogénéisation ethnique du territoire de la Yougoslavie
[15]. Le communisme est mort en Yougoslavie officiellement en
janvier 1990 lorsque la Ligue des Communistes abandonne son rôle dirigeant et
éclate. Le virage nationaliste était pris dès les premières élections en
1991 avec l'instauration d'un multipartisme à caractère
ethnique [16]. Serbes et Croates dénoncent alors l'identité
yougoslave, véritable menace pour leur identité en reconstruction [17].
Le parti « socialiste » de Milosevic est un parti d'extrême
droite qui fleurte depuis longtemps avec tous les mouvements racistes européens.
Le samedi 10 octobre 1998, le journal le Monde rapportait que Jacques Dore,
adjoint au vice-président chargé des questions internationales du parti français
d'extrême droite, apportait alors son soutien à la juste lutte des Serbes pour
la sauvegarde de leur identité nationale. Pour Le Pen d'ailleurs
il faut relativiser le drame des Kosovars : « il y eu beaucoup d'autres
exodes, dont celui, encore proche de nous d'un millions de harkis »
[18]. Avec le déclenchement des bombardements, l'étau s'est
encore resserré et le régime de Milosevic montre son vrai visage. M Slavko
Curuvija a été assassiné devant son domicile. Il publiait sous le manteau un
journal d'opposition, Dnevi Telegraf, qui avait été sanctionné
pour «défaitisme et propagation de la peur » [19]. En fait
les Serbes sont complètement privés de toute information concernant par
exemple la présence de réfugiés Kosovars en Albanie et en Macédoine. Les
journalistes russes à Belgrade sont soumis à la censure militaire quant aux
journalistes occidentaux ils sont réduits à attendre aux frontières l'arrivée
des réfugiés. Les résultats sur la population sont catastrophiques si on en
juge sur cette déclaration (qui pue le racisme ordinaire) dune femme de
Novi-Sad sous les bombes : "Quant aux témoignages de réfugiés
recueillis par CNN, ils m'intriguent au plus haut point.
Bizarrement, tous les interviewés pris soi disant au hasard, dans la rue ou
dans les voitures, parlent parfaitement anglais ne sont pas si nombreux. Surtout
au Kosovo, où peu de gens sont éduqués !"[20]
D epuis la suppression de l'autonomie du Kosovo en
1989, la vie quotidienne de tout un peuple na cessé de se dégrader [21].
Les interdits se sont multipliés : tous les employés albanais ont été
progressivement et légalement chassés des médias, des activités liées à la
culture, puis de la police et de l'industrie. L'apartheid
social s'est doublé dune négation des droits civiques avec la
multiplication des emprisonnements pour délits d'opinions. A la
veille des bombardements plus de 2500 personnes croupissaient dans les geôles
serbes, où les pires tortures étaient pratiquées [22]. Il
est évident qu'il y a eu depuis 1989 une agression sournoise et toujours plus
marqué de la Serbie envers le Kosovo, quasi-État fédéré auquel
il ne manquait que le nom de République. L'intervention de l'OTAN ou de tout
autre alliance militaire était donc bien justifiée
L es frappes aériennes ont certes accéléré un processus qui avait débuté en février 1998 par les paramilitaires serbes lorsque plus de 200 villages furent rasés. Mais il était évident dès leur déclenchement
quelles seraient insuffisantes pour faire plier Milosevic. L'homme
est soutenu par tout un peuple plongé depuis 10 ans dans un délire
nationaliste « conforté par l'injuste agression occidentale ». M ilosevic s'est fait sur le Kosovo en y attisant
la crise, souhaitons que ce soit sur le Kosovo qu'il tombe. Ce
nouveau génocide ne doit pas rester impuni. L'indépendance de
cette micro-région n'était pas souhaitable (la moins mauvaise
option dans une gamme qui n'en comporte pas de bonnes selon Pierre
Hassner, François Heisbourg et Jacques Rupnik) car incontestablement les Serbes
étaient culturellement attachés à ce territoire [24] mais elle
est aujourd'hui une nécessité et Milosevic en porte l'entière
responsabilité. Il a conduit une politique qui a créé un nationalisme kosovar.
Sans intervention, la Macédoine et l'Albanie aurait inéluctablement
été entraînée dans une guerre régionale. Si Milosevic n'est
pas traduit devant le Tribunal Pénal International, le tribunal de l'histoire
serbe le jugera coupable du malheur de tout son peuple. Il faut de toute façon l'arrêter.
[13]
Marie-Françoise Allain et Xavier Galmiche, Guerre ou terreur au Kosovo ? Deux façons de mourir..., Esprit, Mars-avril 1993, N° 3 ,4.
Le Kosovo et la Serbie ont besoin
d'une intervention
internationale mais pas n'importe laquelle. Par Samuel Chopin
L
es bombardements de l'OTAN en Serbie et au Monténégro ont eu pour conséquence (programmée) la poursuite d'une offensive serbe généralisée sur les campagnes kosovares. Le départ de la mission de l'OSCE, des ONG et de nombreux journalistes expulsés par Belgrade laissera moins de témoins, mais on connaît la musique.
Un scénario méthodiquement répété en cinq ans de guerre en Croatie et en Bosnie-Herzégovine : les forces serbes pilonnent les bourgs à l'artillerie lourde avant de faire entrer des groupes paramilitaires ultra-nationalistes chargés de piller et de dynamiter toutes les habitations, d'exécuter parmi ceux qui restent tout homme en âge de porter les armes et de chasser, au mieux et définitivement, le reste de la population. Des centaines de milliers de Kosovars ont déjà été chassés grâce à un vaste plan de déportation
mis en oeuvre par le régime serbe. Il en arrive des milliers d'autres, défilant
devant nos soldats impuissants aux frontières. Comme aux pires heures de
Srebrenica, les hommes manquent à l'appel, ont-ils rejoint l'UCK ? Sont-ils
partis pour des camps comme ceux mis en place par les nationalistes serbes en
1992 en Bosnie et qui furent progressivement démantelés sous les pressions
internationales ? Servent-ils de boucliers humains sur des sites stratégiques comme le prétend l'OTAN ?
Pristina, la capitale, est en état de siège, des pogroms se succèdent contre les intellectuels et les démocrates ; le Conseil de défense des Droits de l'Homme et ses archives ont été brûlés, nombre de ses avocats assassinés ou portés disparus. Des quartiers entiers sont systématiquement vidés de leur population albanaise.
M anifestement Milosevic semble poursuivre un grand projet
d'État : la ruine du Kosovo, certes mais aussi celle de la Serbie, mise au ban des nations, obligée de renier ses engagements pris à Rambouillet et risquant de devenir un Irak balkanique, ostracisé économiquement et moralement, exposé aux bombardements de l'OTAN à chaque nouvelle exaction de sa soldatesque au Kosovo. Il devient d'ailleurs de plus en plus évident que de simples frappes aériennes n'empêcheront pas Milosevic de mener à bien la "serbisation" du Kosovo par les massacres et l'exode de la communauté albanaise. Quand cessera-t-on de prendre systématiquement les populations d'ex-Yougoslavie comme otages de tractations diplomatiques qui débouchent sur des "gentlemen-agreements" avec les bouchers des Balkans
? L es "accords de paix" de Dayton, laissant toujours courir les principaux criminels de guerre et renonçant à assurer le retour des réfugiés et déplacés, portent en eux les bases d'un nouveau conflit. Les nationalistes croates menacent de torpiller la fédération croato-musulmane avec l'éclatement de la police mixte à Mostar. Ils réclament à leur tour un statut "d'entité" pour leur "république croate d'Herceg-Bosna". Comme les nationalistes serbes, ils lancent depuis février une campagne pour le départ des troupes de l'OTAN
pour enfin faire jouer les clauses du traité permettant de rattacher les "entités", et à la Serbie, et à la Croatie. La reconnaissance internationale de deux "entités" en Bosnie risque d'être bien plus lourde de conséquences qu'une éventuelle indépendance de l'ancienne province autonome du
Kosovo.
- Le premier est l'engagement des forces alliées contre l'armée serbe occupée à dévaster le Kosovo. Qu'on ne nous
parle plus de "crédibilité" de l'OTAN sans aucune troupe sur le terrain, cela n'a aucun sens. On attend toujours que l'Europe parle
de Défense commune. La Serbie se saigne dans une guerre coloniale au Kosovo. Frappes de l'OTAN ou pas, le Kosovo permet à Milosevic et aux nationalistes d'éradiquer les mouvements démocratiques et les médias indépendants, de détourner l'économie au profit de leurs clientèles et d'entretenir des forces policières et paramilitaires qui leurs sont dévouées. Cette deuxième forme d'intervention terrestre au Kosovo peut être un soutien conditionnel à l'UCK sur le modèle effectué par les
États-Unis en Bosnie à partir de 1994 : le plan "Train and Equip" des forces croates et bosniaques a permis le renversement de la
situation militaire sur le terrain face aux nationalistes serbes qui, affaiblis par les frappes de l'OTAN, signèrent la paix de Dayton. Ce que l'on dit moins, c'est qu'il a aussi permis aux Américains d'empêcher une potentielle dérive islamique de l'armée et de certains dirigeants
bosniaques. C omme beaucoup d'anciennes républiques fédérées de Yougoslavie, le Kosovo veut avant tout fuir le délire nationaliste serbe. Tous ces pays, devenus indépendants mais ruinés, ne voient leur développement économique et démocratique qu'à travers une nouvelle intégration supranationale : l'Union Européenne. Comme en 1945, il aura fallu des charniers pour nous rappeler l'impératif de la construction européenne, fasse que ceux des Balkans ne soient pas simplement facturés en Euros, sur le compte d'une stricte aumône humanitaire. L'intervention militaire internationale doit absolument agir sur le terrain. Sinon les frappes aériennes de l'OTAN sur la Serbie reviendront indirectement à frapper les Kosovars, à la merci des représailles serbes et sans aucun moyens de
retour.
Pourquoi, lorsqu'elle s'y résout, donne-t-elle l'impression de n'y condescendre
que du bout des lèvres, tardivement et comme à regret, à reculons, sous la
pression de la déferlante d'indignation et de solidarité qui monte de la
population française ?
Pourquoi cette longue (dix ans !) indifférence ? Pourquoi, jusqu'à ces tout
derniers temps, cette quasi-complicité par l'absence, par l'omission, par le
silence avec le maître d'œuvre dune «terreur nazie »(Alain Joxe) contre
les kosovars ?
De quels secrets et troubles prestiges peut donc bien encore rester parée, aux yeux de certains, à gauche, la sinistre figure du «boucher des Balkans » ?
Pourquoi la condamnation de l'actuel régime serbe et du groupe de Slobodan
Milosevic, criminel de guerre, criminel contre l'humanité, voire, si on se réfère
à la Convention de 1948, coupable de politique génocidaire, pourquoi cette
condamnation na-t-elle pas été posée d'emblée, et argumentée, par la gauche ?
Pourquoi cette condamnation, lorsqu'elle franchit enfin les lèvres des leaders de la gauche radicale, est-elle non seulement tardive, mais timorée, mais insuffisante ?
Pourquoi se trouve-t-elle aussitôt balancée, et comme annulée, par de scandaleux parallèles ?
Pourquoi ce souci, comique sil ne bafouait un peuple torturé, d'établir à
tout prix une symétrie aussi ridicule que scandaleuse entre Milosevic et l'OTAN,
quels que soient les défauts, l'insuffisance et les pusillanimités de celle-ci ?
Comment se fait-il, par contre, que les mêmes aient immédiatement réagi aux
bombardements de l'OTAN contre la Serbie ?
Le siège et la destruction de Vukovar, par l'armée yougoslave en 1991, ne les
ont pas remués. Les trois terribles années du siège de Sarajevo par l'armée
yougoslave ne les ont pas fait descendre dans la rue, pour la paix, contre la
soldatesque et le militarisme serbes. Les milliers de morts sous les obus
serbes, à Sarajevo, à Tuzla et ailleurs ; les massacres et les viols de
masse commis en Bosnie, de 1992 à 1995, par les forces serbes, milices et armée
régulière, ne les ont pas jetés sur les pavés de nos villes. Les camps de
concentration serbes en Bosnie (Prijedor, Manjaca, Keraterm, Omarska...) ne les
ont pas fait frémir ni vomir. Les hideuses tueries de civils désarmés, à
Srebrenica, en juillet 1995, par les Waffen-SS du général serbe Ratko Mladic,
ne les ont pas alors précipités sur les places et les boulevards, clamant leur
colère antifasciste...
Et les voici qui se réveillent, brusquement, aujourd'hui, pour crier au massacre du peuple serbe par
l'aviation de l'OTAN.
Comme si seuls comptaient les morts serbes, comme si les événements actuels étaient
soudainement surgis d'un néant historique, n'avaient pas de passé, n’avaient rien
à voir avec l’action depuis dix ans, du rouge-brun Slobodan Milosevic.
Comment expliquer, comment concevoir cet effarement à deux poids deux mesures?
Et comment les dirigeants de la Gauche radicale peuvent-ils croire qu'il ne leur
sera pas demandé compte dans les urnes ou ailleurs de leurs silences, de leur
indifférence, de leurs fausses symétries (OTAN = Milosevic), de leurs
complicités, avouées, inavouées, délibérées ou inconscientes.
(Tout de même pas si inconscientes pour tout le monde : n'est ce pas le
principal dirigeant de la "Izquierda Unida", Julio Anguita, qui déclare,
le 20 avril, lors d'un meeting à Barcelone que Milosevic a le tort d'être de
gauche et que c'est pour cela qu'il est l'homme à abattre.
Car tout de même, rien ne peut faire que ceux qui, quels qu'ils soient et
quels que soient leurs discours actuels, ont fermé les yeux au nom de quoi, au
juste ? de l'anti-impérialisme ? ....nous aimerions savoir. Sur les crimes de
Polpot et de ses bandes de zombies rouges du Kampuchea démocratique ne soient
aujourd'hui suspects : Non-assistance à peuple en danger, complicité pour
homicide, pour silence, pour détournement du regard.
Nous ne savions pas, viennent-ils geindre. vous ne saviez pas ? Quelle confiance
faire à des militants politiques qui ne savent pas que leurs bannières servent
aussi à couvrir un génocide ?
Mais nous n'avons pas voulu cela. Peu nous importe que vous l'ayez voulu ou non ;
vous l'avez occulté, vous l'avez couvert par votre silence, par votre incapacité
à le voir, à le prendre en compte.
Mais nous avons changé !...... Jamais plus ! Jamais plus ! C'est au pied du mur
kosovar que ces protestations, que ces jamais plus risquent fort d'apparaître
pour ce quelles sont : flatus vocis = du pipeau.
Pipeau dont, peut- être les leaders de la gauche radicale ne sont même pas
conscients ce qui aggraverait leur cas, car alors ce serait que les réflexes
staliniens sont demeurés bien en place, pas seulement au PC, mais dans toute la
gauche radicale, et restent, en dépit de toutes ces proclamations de changement
destinées à piquer des voix aux élections, la vérité profonde de la gauche radicale.
Nous y voyons une faillite historique de la gauche radicale, plus obsédée par
l'OTAN et les États-Unis, que par la marée montante du fascisme en Europe
ex-soviétique. Que valent toutes les protestations d'antifascisme lorsque quand
le fascisme est là, à nos portes, sous notre nez nous n'osons que dénoncer
dans les mêmes termes la coalition antifasciste qui
s'y oppose concrètement ?
[14]- Il faut se souvenir des banderoles porteuses de slogans « tcheniks » agitées par les supporters de
l'Etoile Rouge lors de la finale de la coupe d'Europe contre l'Olympique de Marseille.
[15]- Le 16 mars 1990 un «programme yougoslave pour le Kosovo «publié dans le Journal Officiel de Serbie prévoyait le repeuplement serbe de la province. Michel Roux évoque la politique de « modification du maillage administratif qui permettait de transformer les enclaves de population serbo-monténégrine en autant de communes ». Voir Michel Roux, Les Albanais en Yougoslavie. Minorité nationale, territoire et développement, Paris, Maison des sciences de
l'homme, 1992.
[16]- Il faut rappeler qu'au moment du
recensement pour ces élections en Croatie, les instructions aux agents
recenseurs précisaient que la réponse yougoslave était explicitement prévue par la loi fédérale.
[17]- J-F. GOSSIAUX, « Yougoslavie : Quand la démocratie
n'est plus un jeu », Annales HSS, juillet-août 1996, n° 4, pp. 837-848.
[18]- Le Monde du 7 avril 1999.
[19]- Notes de reporter sans frontière du 5 novembre 1998 et Le Monde du 14 Avril 1999.
[20]- Le Monde du 4 et 5 avril 1999.
[21]- Ibrahim Rugova, La question du Kosovo, Fayard, Paris, 1994, p 61. Propos rapporté de Rexhep Qosja : «
Au Kosovo arrivent des choses qui n'arrivent nulle part dans le monde :
200000 Serbes tiennent dans leurs mains tout le pouvoir, toute la richesse du
Kosovo, ils tiennent tout. Les Albanais n'ont que l'air, que l'on ne peut leur
enlever. Nos femmes ne peuvent pas accoucher dans les hôpitaux, nos enfants ne
peuvent pas aller à l'école, les étudiants à l'université. l'Académie des
arts et des sciences est fermée, nos instituions scientifiques ne travaillent pas..... »
[22]- Antoine Garapon, Différenciés les albanais du Kosovo, Le Monde Diplomatique, 1989.
[23]- Paul Garde, Vie et Mort de l'Ex-Yougoslavie,
p 237. Bien que le Kosovo jouisse « de ressources en matières premières
grâce aux mines de Trepca, et des possibilités agricoles malheureusement
inexploitées, c'est de loin la région la plus pauvre de l'Ex-Yougoslavie. »
[24]- Paul Garde, Vie et Mort de l'Ex-Yougoslavie,
p 231. « Il paraît donc hors de doute que les Serbes autrefois ont été
majoritaires dans cette région. Il est non moins exact que la culture serbe y a
ses racines , avec le champ de bataille de Kosovo et sa geste héroïque ;
avec les plus vénérables sanctuaires orthodoxes ».
L'OTAN a beau clamer qu'elle fait grand cas des civils serbes, c'est à dire, prosaïquement, qu'un civil serbe vaut bien plus qu'un civil irakien, on peut s'interroger sur l'intérêt qu'il y a à saupoudrer de bombes toute la Serbie si ce n'est impliquer à tort tous les Serbes dans la sale guerre au Kosovo pour des résultats stratégiques marginaux.
Les politiques irrédentistes de la Serbie de Milosevic et de la Croatie de Tudjman ont déjà mené la guerre en Bosnie-Herzégovine ; ces deux dictateurs ont une place sur mesure au Tribunal Pénal International de La Haye mais nous les avons transformés, d'un coup de baguette médiatique, en "signataires des accords de paix" de
Dayton.
A Dayton, les démocraties occidentales ont dissout la république de Bosnie-Herzégovine et reconnu officiellement une "République Serbe" comme "entité" de Bosnie-Herzégovine (notons que la reconnaissance d'une république implique forcément celle d'un état, celui-ci est auto-proclamé sur les conquêtes militaires et les campagnes de "purification ethnique" des forces nationalistes
serbes).
Ces accords permettent à cette "République Serbe" de se confédérer à la Serbie (alias Yougoslavie avec le Monténégro). C'est un fait sans précédent dans les relations et le droit international depuis les accords de Munich en 1938, la reconnaissance de l'irrédentisme allemand dans les Sudètes et la destruction de l'état tchécoslovaque.
Il ne s'agit pas de proposer aux Kosovars une intervention aussi tardive et une paix aussi bâclée qu'en Bosnie-Herzégovine ! Seule une défaite militaire terrestre (comme en Bosnie en 1995) peut défaire Milosevic.
Les Européens et les États-Unis n'ont plus que deux choix avant un nouveau fiasco humanitaire et diplomatique :
- Le deuxième choix suppose que l'on admette enfin que plus de 85 % des habitants du Kosovo sont prêts à se défendre
pour, un jour, ne plus avoir à faire à Milosevic et aux nationalistes serbes, à leur régime d'apartheid (10 ans déjà), à leurs
bombardements de villages, à leurs policiers et miliciens fous de guerre, à l'opposition "démocratique" qui, par démagogie,
leur voue le même sort si elle arrive à renverser Milosevic. La volonté d'indépendance des Kosovars ne se forge ni sur la
haine des Serbes, ni sur le rêve d'une grande Albanie mais chaque jour de massacres et d'exodes tolérés sur le terrain par
la communauté internationale renforcera naturellement les extrémismes.
Que ceux qui crient au danger pan-albanais et au terrorisme islamique se rassurent, il est possible de s'assurer du contraire. Les Kosovars albanais sont, comme l'étaient les Bosniaques musulmans, acculés et démunis face à une armée d'extermination. Ils accepteront de l'aide d'où qu'elle vienne, aux Européens et aux
États-Unis de leur tendre la main en dictant leurs conditions exclusives.
Ce nouveau bras de fer avec Milosevic doit aussi être le dernier, les gouvernements américain et européens ont largement amassé assez de preuves en dix ans de conflits en ex-Yougoslavie pour envoyer Milosevic au Tribunal Pénal International de
La Haye. Il n'est plus possible que la France, par pure Realpolitik, fourvoie ses valeurs et hypothèque à nouveau la paix dans les Balkans en signant un nouvel "accord de paix" avec un tel individu. De même, il faudra un règlement global de la crise en ex-Yougoslavie. Il ne faut plus séparer les guerres et les "paix" en s'imaginant "circonscrire" les conflits sur le dos des populations. Il faut une volonté internationale pour imposer aux partis nationalistes au pouvoir le retour des réfugiés et déplacés en Croatie (Krajina), en Bosnie-Herzégovine (notamment dans les zones nationalistes serbes et croates) et bien sûr au
Kosovo.
La constitution de la Bosnie-Herzégovine concoctée par la diplomatie occidentale doit être revue sur des règles électorales et des principes politiques non pas communautaristes et ethniques mais citoyens, les "entités" qu'elle a créé doivent être rassemblées sur un modèle fédéral ne laissant aucune prise à l'irrédentisme serbe et
croate.
Les criminels de guerre recherchés par le Tribunal Pénal International doivent être arrêtés, y compris et surtout ceux qui se trouvent dans le secteur français et américain de la SFOR. , c'est à dire notamment Mladic et Karadzic.