ANALYSES

Revue Guernica, Spécial Kosovo, Mai 1999

 

 

 

 

 

Kosovo : La gauche radicale au pied du mur. Par Edmond Grimberg

Il faut arrêter Milosevic. Par Christophe Belaubre

Le Kosovo et la Serbie ont besoin d'une intervention internationale mais pas n'importe laquelle. Par Samuel Chopin

 

 

 

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Kosovo : La gauche radicale au pied du mur.

Par Edmond GRIMBERG

 

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ous voudrions poser ici quelques questions nous réservant d'y revenir ultérieurement plus en détail. Pourquoi la gauche selon notre cœur la gauche dite radicale , si étrangement absente, hier, de la défense du peuple bosniaque, est-elle, aujourd'hui, si réticente, à prendre, sans ambiguïté, fait et cause pour le peuple kosovar ?
Pourquoi, lorsqu'elle s'y résout, donne-t-elle l'impression de n'y condescendre que du bout des lèvres, tardivement et comme à regret, à reculons, sous la pression de la déferlante d'indignation et de solidarité qui monte de la population française ?
Pourquoi cette longue (dix ans !) indifférence ? Pourquoi, jusqu'à ces tout derniers temps, cette quasi-complicité par l'absence, par l'omission, par le silence avec le maître d'œuvre dune «terreur nazie »(Alain Joxe) contre les kosovars ?
De quels secrets et troubles prestiges peut donc bien encore rester parée, aux yeux de certains, à gauche, la sinistre figure du «boucher des Balkans » ?
Pourquoi la condamnation de l'actuel régime serbe et du groupe de Slobodan Milosevic, criminel de guerre, criminel contre l'humanité, voire, si on se réfère à la Convention de 1948, coupable de politique génocidaire, pourquoi cette condamnation na-t-elle pas été posée d'emblée, et argumentée, par la gauche ?
Pourquoi cette condamnation, lorsqu'elle franchit enfin les lèvres des leaders de la gauche radicale, est-elle non seulement tardive, mais timorée, mais insuffisante ?
Pourquoi se trouve-t-elle aussitôt balancée, et comme annulée, par de scandaleux parallèles ? Pourquoi ce souci, comique sil ne bafouait un peuple torturé, d'établir à tout prix une symétrie aussi ridicule que scandaleuse entre Milosevic et l'OTAN, quels que soient les défauts, l'insuffisance et les pusillanimités de celle-ci ?


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omment se fait-il que des courants politiques, qui mettent volontiers en avant leur réceptivité et leur sensibilité aux problèmes «des gens», soient restés si longtemps à peu près de marbre devant les souffrances multiples infligées  à la population kosovare par les « purificateurs ethniques » des bandes nazies au service de l'occupant serbe ?
Comment se fait-il, par contre, que les mêmes aient immédiatement réagi aux bombardements de l'OTAN contre la Serbie ?
Le siège et la destruction de Vukovar, par l'armée yougoslave en 1991, ne les ont pas remués. Les trois terribles années du siège de Sarajevo par l'armée yougoslave ne les ont pas fait descendre dans la rue, pour la paix, contre la soldatesque et le militarisme serbes. Les milliers de morts sous les obus serbes, à Sarajevo, à Tuzla et ailleurs ; les massacres et les viols de masse commis en Bosnie, de 1992 à 1995, par les forces serbes, milices et armée régulière, ne les ont pas jetés sur les pavés de nos villes. Les camps de concentration serbes en Bosnie (Prijedor, Manjaca, Keraterm, Omarska...) ne les ont pas fait frémir ni vomir. Les hideuses tueries de civils désarmés, à Srebrenica, en juillet 1995, par les Waffen-SS du général serbe Ratko Mladic, ne les ont pas alors précipités sur les places et les boulevards, clamant leur colère antifasciste...
Et les voici qui se réveillent, brusquement, aujourd'hui, pour crier au massacre du peuple serbe par l'aviation de l'OTAN.


A

vec quelles lunettes voient-ils la réalité, eux qui sont demeurés aveugles (et muets) tant que la guerre oui ! la guerre la guerre la plus sauvage, la plus barbare, n'était faite qu'au peuple croate, bosniaque, kosovar, mais qui réagissent au quart de tour dès les premières bombes tombées sur la Serbie, découvrant alors, alors seulement, la guerre, l'urgence ; alléguant tout à coup l'absolu de la défense de la paix qui, de 1991 à 1999, ne leur avait jamais sauté aux yeux. 
Comme si seuls comptaient les morts serbes, comme si les événements actuels étaient soudainement surgis d'un néant historique, n'avaient pas de passé, n’avaient rien à voir avec l’action depuis dix ans, du rouge-brun Slobodan Milosevic.
Comment expliquer, comment concevoir cet effarement à deux poids deux mesures?
Et comment les dirigeants de la Gauche radicale peuvent-ils croire qu'il ne leur sera pas demandé compte dans les urnes ou ailleurs de leurs silences, de leur indifférence, de leurs fausses symétries (OTAN = Milosevic), de leurs complicités, avouées, inavouées, délibérées ou inconscientes.
(Tout de même pas si  inconscientes pour tout le monde : n'est ce pas le principal dirigeant de la "Izquierda Unida", Julio Anguita, qui déclare, le 20 avril, lors d'un meeting à Barcelone que Milosevic a le tort d'être de gauche et que c'est pour cela qu'il est l'homme à abattre.
Car tout de même,  rien ne peut faire que ceux qui, quels qu'ils soient et quels que soient leurs discours actuels, ont fermé les yeux au nom de quoi, au juste ? de l'anti-impérialisme ? ....nous aimerions savoir. Sur les crimes de Polpot et de ses bandes de zombies rouges du Kampuchea démocratique ne soient aujourd'hui suspects : Non-assistance à peuple en danger, complicité pour homicide, pour silence, pour détournement du regard.
Nous ne savions pas, viennent-ils geindre. vous ne saviez pas ? Quelle confiance faire à des militants politiques qui ne savent pas que leurs bannières servent aussi à couvrir un génocide ?
Mais nous n'avons pas voulu cela. Peu nous importe que vous l'ayez voulu ou non ; vous l'avez occulté, vous l'avez couvert par votre silence, par votre incapacité à le voir, à le prendre en compte.
Mais nous avons changé !...... Jamais plus ! Jamais plus ! C'est au pied du mur kosovar que ces protestations, que ces jamais plus risquent fort d'apparaître pour ce quelles sont :  flatus vocis = du pipeau.
Pipeau dont,  peut- être les leaders de la gauche radicale ne sont même pas conscients ce qui aggraverait leur cas, car alors ce serait que les réflexes staliniens sont demeurés bien en place, pas seulement au PC, mais dans toute la gauche radicale, et restent, en dépit de toutes ces proclamations de changement destinées à piquer des voix aux élections, la vérité profonde de la gauche radicale.


L

a colère, la tristesse profonde nous saisissent devant cette longue incurie, devant cette longue complicité par le silence et l'omission, devant les palinodies et les tartuferies des prétendus rééquilibrages de ces derniers jours. ( Qua t-il produit ? ceci : on dénonce, maintenant, autant" (!) Milosevic que l'Otan....Imaginons, rien qu'un instant, qu'en Angleterre, par exemple, des pacifistes aient manifesté avec des banderoles dénonçant et Mordekhaï Anielewicz chef de l'insurrection du ghetto de Varsovie et le  général Waffen SS Jürgen Stroop qui lui faisait face.....).
Nous y voyons une faillite historique de la gauche radicale, plus obsédée par l'OTAN et les États-Unis, que par la marée montante du fascisme en Europe ex-soviétique. Que valent toutes les protestations d'antifascisme lorsque quand le fascisme est là, à nos portes, sous notre nez nous n'osons que dénoncer dans les mêmes termes la coalition antifasciste qui s'y oppose concrètement ?

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Obsèque des victimes de Racak, photo KMDLNJ, 1999

Il faut arrêter Milosevic. 

Par Christophe  BELAUBRE

« Le Kosovo est un crime annoncé, et les crimes annoncés sont les plus terribles de tous » Ismaël Kadaré.

 

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épuration ethnique est en cours au Kosovo. Comme en Bosnie, les mêmes forfaitures sont commises par des bandes paramilitaires qui reçoivent des ordres des plus hauts responsables politiques et militaires serbes. L'épuration ethnique, encore, à peine trois ans après les accords scélérats de Dayton. L'épuration ethnique malgré les avertissements multipliés [13], malgré l'évidence des dérapages nationalistes en Serbie [14] . Face à cette atrocité, la communauté internationale (une alliance militaire de 19 pays) a réagit. Il est moralement impossible de la condamner, (d'autant que pour mémoire les bombardements sur Belgrade lors de la seconde guerre mondiale en quelques heures firent 20 000 victimes) mais il faut aller plus loin : armer le peuple Kosovar et intervention au sol. Deux cent mille personnes tuées et trois millions de personnes déplacées entre 1991 et 1996 dans l'Ex-yougoslavie. En quelques jours, ils sont déjà plus de 900000 sur la route de l'exode. Milosevic réalise en quelques semaines ce qu'il a fait en trois années en Bosnie. Cette déportation massive est criminelle. Ses auteurs devront en répondre devant le Tribunal Pénal International. Elle était préparée de longue date et dans les détails. Elle est réalisée par la terreur et les exactions de toutes sortes. Il est encore trop tôt pour dresser un bilan des atrocités en cours...la mémoire collective de ce peuple honni, interdit et trop longtemps oublié dira combien elle compte de martyrs.

C

e scénario était pourtant largement prévisible. Nous savions l'interdit qui pesait sur ce peuple. Nous savions que le régime de Milosevic se nourrit de la haine à l'encontre de la minorité albanaise. L'OTAN ne pouvait ignorer que le déclenchement des bombardements provoquerait une accélération du nettoyage ethnique déjà largement entamé. Il fallait dès le début envisager l'intervention terrestre sur les mêmes bases juridiques qui ont autorisé les bombardements c'est à dire les résolutions 1199 et 1203 du conseil de sécurité de l'ONU.

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i Milosevic ne pratique pas le culte de la personnalité, largement passé de mode, il contrôle dune main de fer tous les rouages du pouvoir en Serbie. Toute sa politique repose sur la défense de l'identité serbe prétendument menacée et sur la progressive homogénéisation ethnique du territoire de la Yougoslavie [15].  Le communisme est mort en Yougoslavie officiellement en janvier 1990 lorsque la Ligue des Communistes abandonne son rôle dirigeant et éclate. Le virage nationaliste était pris dès les premières élections en 1991 avec l'instauration d'un multipartisme à caractère ethnique [16]. Serbes et Croates dénoncent alors l'identité yougoslave, véritable menace pour leur identité en reconstruction [17]. Le parti « socialiste » de Milosevic est un parti d'extrême droite qui fleurte depuis longtemps avec tous les mouvements racistes européens. Le samedi 10 octobre 1998, le journal le Monde rapportait que Jacques Dore, adjoint au vice-président chargé des questions internationales du parti français d'extrême droite, apportait alors son soutien à la juste lutte des Serbes pour la sauvegarde de leur identité nationale. Pour Le Pen d'ailleurs il faut relativiser le drame des Kosovars : «  il y eu beaucoup d'autres exodes, dont celui, encore proche de nous d'un millions de harkis » [18]. Avec le déclenchement des bombardements, l'étau s'est encore resserré et le régime de Milosevic montre son vrai visage. M Slavko Curuvija a été assassiné devant son domicile. Il publiait sous le manteau un journal d'opposition, Dnevi Telegraf, qui avait été sanctionné pour «défaitisme et propagation de la peur » [19]. En fait les Serbes sont complètement privés de toute information concernant par exemple la présence de réfugiés Kosovars en Albanie et en Macédoine. Les journalistes russes à Belgrade sont soumis à la censure militaire quant aux journalistes occidentaux ils sont réduits à attendre aux frontières l'arrivée des réfugiés. Les résultats sur la population sont catastrophiques si on en juge sur cette déclaration (qui pue le racisme ordinaire)  dune femme de Novi-Sad sous les bombes : "Quant aux témoignages de réfugiés recueillis par CNN, ils m'intriguent au plus haut point. Bizarrement, tous les interviewés pris soi disant au hasard, dans la rue ou dans les voitures, parlent parfaitement anglais ne sont pas si nombreux. Surtout au Kosovo, où peu de gens sont éduqués !"[20]

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epuis la suppression de l'autonomie du Kosovo en 1989, la vie quotidienne de tout un peuple na cessé de se dégrader [21]. Les interdits se sont multipliés : tous les employés albanais ont été progressivement et légalement chassés des médias, des activités liées à la culture, puis de la police et de l'industrie. L'apartheid social s'est doublé dune négation des droits civiques avec la multiplication des emprisonnements pour délits d'opinions. A la veille des bombardements plus de 2500 personnes croupissaient dans les geôles serbes, où les pires tortures étaient pratiquées [22]. Il est évident qu'il y a eu depuis 1989 une agression sournoise et toujours plus marqué de la Serbie envers le Kosovo, quasi-État fédéré auquel il ne manquait que le nom de République. L'intervention de l'OTAN ou de tout autre alliance militaire était donc bien justifiée

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es frappes aériennes ont certes accéléré un processus qui avait débuté en février 1998 par les paramilitaires serbes lorsque plus de 200 villages furent rasés. Mais il était évident dès leur déclenchement quelles seraient insuffisantes pour faire plier Milosevic. L'homme est soutenu par tout un peuple plongé depuis 10 ans dans un délire nationaliste « conforté par l'injuste agression occidentale ». La culpabilité et l'irresponsabilité occidentale sont donc évidentes. Lorsqu'on veut jouer à la guerre, on n'a pas le droit de garder des cartes en réserve. Il faut abattre tout son jeu pour impressionner l'adversaire, briser son esprit de résistance. La pression devait être maximum dès le début avec, comme ce fut le cas en Irak, la concentration de forces armées d'intervention en Albanie et en Macédoine. Il fallait aussi brandir la menace dune reconnaissance internationale du Kosovo. Autant d'erreurs politiques, que beaucoup de soldats européens risquent de payer demain (car les bombardements ont sans conteste resserré tout un peuple autour de son leader et étouffé les opposants), que des civils sans défense payent aujourd'hui au Kosovo et en Serbie. Pourquoi n'avoir pas poussé la logique diplomatique jusqu'à son terme ? Seulement faut-il rappeler qu'au Kosovo, il n'y a pas de puits de pétrole, à peine quelques usines et des mines difficilement exploitables [23]. Comme en Bosnie, ces populations ne comptent guère dans le nouvel ordre mondial. La résistance pacifique des Kosovars na jamais été sérieusement prise en compte. Seule la montée des extrémistes au sein de la population albanaise avec des menaces directes contre la Macédoine et la Grèce voisine, a provoqué l'intervention militaire occidentale. L'irrédentisme albanais inquiétait beaucoup plus les occidentaux (qui la veille des bombardements considéraient encore l'UCK comme un groupe terroriste) que les assassinats et les tortures systématiques pratiqués par le régime de Belgrade contre les civils. Ces réfugiés ne sont-il pas des pions que les occidentaux manœuvrent actuellement avec un cynisme dégouttant ? C'est pourquoi notre combat politique doit être celui de la prise en compte de la situation des civils.  Sans troupes spéciales détachées au Kosovo pour neutraliser les assassins, ces frappes aériennes resteront aussi criminelles que l'inaction des soldats européens à Srebrenica. Sans une intervention déterminée au sol, le Kosovo sera demain un nouveau cauchemar pour nos consciences et une nouvelle régression dans l'histoire de l'humanité.

M

ilosevic s'est fait sur le Kosovo en y attisant la crise, souhaitons que ce soit sur le Kosovo qu'il tombe. Ce nouveau génocide ne doit pas rester impuni. L'indépendance de cette micro-région n'était pas souhaitable (la moins mauvaise option dans une gamme qui n'en comporte pas de bonnes selon Pierre Hassner, François Heisbourg et Jacques Rupnik) car incontestablement les Serbes étaient culturellement attachés à ce territoire [24] mais elle est aujourd'hui une nécessité et Milosevic en porte l'entière responsabilité. Il a conduit une politique qui a créé un nationalisme kosovar. Sans intervention, la Macédoine et l'Albanie aurait inéluctablement été entraînée dans une guerre régionale. Si Milosevic n'est pas traduit devant le Tribunal Pénal International, le tribunal de l'histoire serbe le jugera coupable du malheur de tout son peuple. Il faut de toute façon l'arrêter.

[13] Marie-Françoise Allain et Xavier Galmiche, Guerre ou terreur au Kosovo ? Deux façons de mourir..., Esprit, Mars-avril 1993, N° 3 ,4.
[14]- Il faut se souvenir des banderoles porteuses de slogans « tcheniks » agitées par les supporters de l'Etoile Rouge lors de la finale de la coupe d'Europe contre l'Olympique de Marseille.
[15]- Le 16 mars 1990 un «programme yougoslave pour le Kosovo «publié dans le Journal Officiel de Serbie prévoyait le repeuplement serbe de la province. Michel Roux évoque la politique de « modification du maillage administratif qui permettait de transformer les enclaves de population serbo-monténégrine en autant de communes ». Voir Michel Roux, Les Albanais en Yougoslavie. Minorité nationale, territoire et développement, Paris, Maison des sciences de l'homme, 1992.
[16]- Il faut rappeler qu'au moment du recensement pour ces élections en Croatie, les instructions aux agents recenseurs précisaient que la réponse yougoslave était explicitement prévue par la loi fédérale.
[17]- J-F. GOSSIAUX, « Yougoslavie : Quand la démocratie n'est plus un jeu », Annales HSS, juillet-août 1996, n° 4, pp. 837-848.
[18]- Le Monde du 7 avril 1999.
[19]- Notes de reporter sans frontière du 5 novembre 1998 et Le Monde du 14 Avril 1999.
[20]- Le Monde du 4 et 5 avril 1999.
[21]- Ibrahim Rugova, La question du Kosovo, Fayard, Paris, 1994, p 61. Propos rapporté de Rexhep Qosja : «  Au Kosovo arrivent des choses qui n'arrivent nulle part dans le monde : 200000 Serbes tiennent dans leurs mains tout le pouvoir, toute la richesse du Kosovo, ils tiennent tout. Les Albanais n'ont que l'air, que l'on ne peut leur enlever. Nos femmes ne peuvent pas accoucher dans les hôpitaux, nos enfants ne peuvent pas aller à l'école, les étudiants à l'université. l'Académie des arts et des sciences est fermée, nos instituions scientifiques ne travaillent pas..... »
[22]- Antoine Garapon, Différenciés les albanais du Kosovo, Le Monde Diplomatique, 1989.
[23]- Paul Garde, Vie et Mort de l'Ex-Yougoslavie, p 237. Bien que le Kosovo jouisse « de ressources en matières premières grâce aux mines de  Trepca, et des possibilités agricoles malheureusement inexploitées, c'est de loin la région la plus pauvre de l'Ex-Yougoslavie. »
[24]- Paul Garde, Vie et Mort de l'Ex-Yougoslavie, p 231. «  Il paraît donc hors de doute que les Serbes autrefois ont été majoritaires dans cette région. Il est non moins exact que la culture serbe y a ses racines , avec le champ de bataille de Kosovo et sa  geste héroïque ; avec les plus vénérables sanctuaires orthodoxes ».

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Le Kosovo et la Serbie ont besoin d'une intervention 

internationale mais pas n'importe laquelle.

Par Samuel Chopin

 

L

es bombardements de l'OTAN en Serbie et au Monténégro ont eu pour conséquence (programmée) la poursuite d'une offensive serbe généralisée sur les campagnes kosovares. Le départ de la mission de l'OSCE, des ONG et de nombreux journalistes expulsés par Belgrade laissera moins de témoins, mais on connaît la musique.

Un scénario méthodiquement répété en cinq ans de guerre en Croatie et en Bosnie-Herzégovine : les forces serbes pilonnent les bourgs à l'artillerie lourde avant de faire entrer des groupes paramilitaires ultra-nationalistes chargés de piller et de dynamiter toutes les habitations, d'exécuter parmi ceux qui restent tout homme en âge de porter les armes et de chasser, au mieux et définitivement, le reste de la population. Des centaines de milliers de Kosovars ont déjà été chassés grâce à un vaste plan de déportation mis en oeuvre par le régime serbe. Il en arrive des milliers d'autres, défilant devant nos soldats impuissants aux frontières. Comme aux pires heures de Srebrenica, les hommes manquent à l'appel, ont-ils rejoint l'UCK ? Sont-ils partis pour des camps comme ceux mis en place par les nationalistes serbes en 1992 en Bosnie et qui furent progressivement démantelés sous les pressions internationales ? Servent-ils de boucliers humains sur des sites stratégiques comme le prétend l'OTAN ?

Pristina, la capitale, est en état de siège, des pogroms se succèdent contre les intellectuels et les démocrates ; le Conseil de défense des Droits de l'Homme et ses archives ont été brûlés, nombre de ses avocats assassinés ou portés disparus. Des quartiers entiers sont systématiquement vidés de leur population albanaise.

 

M

anifestement Milosevic semble poursuivre un grand projet d'État : la ruine du Kosovo, certes mais aussi celle de la Serbie, mise au ban des nations, obligée de renier ses engagements pris à Rambouillet et risquant de devenir un Irak balkanique, ostracisé économiquement et moralement, exposé aux bombardements de l'OTAN à chaque nouvelle exaction de sa soldatesque au Kosovo. Il devient d'ailleurs de plus en plus évident que de simples frappes aériennes n'empêcheront pas Milosevic de mener à bien la "serbisation" du Kosovo par les massacres et l'exode de la communauté albanaise.
L'OTAN a beau clamer qu'elle fait grand cas des civils serbes, c'est à dire, prosaïquement, qu'un civil serbe vaut bien plus qu'un civil irakien, on peut s'interroger sur l'intérêt qu'il y a à saupoudrer de bombes toute la Serbie si ce n'est impliquer à tort tous les Serbes dans la sale guerre au Kosovo pour des résultats stratégiques marginaux.

Quand cessera-t-on de prendre systématiquement les populations d'ex-Yougoslavie comme otages de tractations diplomatiques qui débouchent sur des "gentlemen-agreements" avec les bouchers des Balkans ?
Les politiques irrédentistes de la Serbie de Milosevic et de la Croatie de Tudjman ont déjà mené la guerre en Bosnie-Herzégovine ; ces deux dictateurs ont une place sur mesure au Tribunal Pénal International de La Haye mais nous les avons transformés, d'un coup de baguette médiatique, en "signataires des accords de paix" de Dayton.
A Dayton, les démocraties occidentales ont dissout la république de Bosnie-Herzégovine et reconnu officiellement une "République Serbe" comme "entité" de Bosnie-Herzégovine (notons que la reconnaissance d'une république implique forcément celle d'un état, celui-ci est auto-proclamé sur les conquêtes militaires et les campagnes de "purification ethnique" des forces nationalistes serbes).
Ces accords permettent à cette "République Serbe" de se confédérer à la Serbie (alias Yougoslavie avec le Monténégro). C'est un fait sans précédent dans les relations et le droit international depuis les accords de Munich en 1938, la reconnaissance de l'irrédentisme allemand dans les Sudètes et la destruction de l'état tchécoslovaque.

 

L

es "accords de paix" de Dayton, laissant toujours courir les principaux criminels de guerre et renonçant à assurer le retour des réfugiés et déplacés, portent en eux les bases d'un nouveau conflit. Les nationalistes croates menacent de torpiller la fédération croato-musulmane avec l'éclatement de la police mixte à Mostar. Ils réclament à leur tour un statut "d'entité" pour leur "république croate d'Herceg-Bosna". Comme les nationalistes serbes, ils lancent depuis février une campagne pour le départ des troupes de l'OTAN pour enfin faire jouer les clauses du traité permettant de rattacher les "entités", et à la Serbie, et à la Croatie. La reconnaissance internationale de deux "entités" en Bosnie risque d'être bien plus lourde de conséquences qu'une éventuelle indépendance de l'ancienne province autonome du Kosovo.
Il ne s'agit pas de proposer aux Kosovars une intervention aussi tardive et une paix aussi bâclée qu'en Bosnie-Herzégovine ! Seule une défaite militaire terrestre (comme en Bosnie en 1995) peut défaire Milosevic.
Les Européens et les États-Unis n'ont plus que deux choix avant un nouveau fiasco humanitaire et diplomatique :

        - Le premier est l'engagement des forces alliées contre l'armée serbe occupée à dévaster le Kosovo. Qu'on ne nous parle plus de "crédibilité" de l'OTAN sans aucune troupe sur le terrain, cela n'a aucun sens. On attend toujours que l'Europe parle de Défense commune.
        - Le deuxième choix suppose que l'on admette enfin que plus de 85 % des habitants du Kosovo sont prêts à se défendre  pour, un jour, ne plus avoir à faire à Milosevic et aux nationalistes serbes, à leur régime d'apartheid (10 ans déjà), à leurs bombardements de villages, à leurs policiers et miliciens fous de guerre, à l'opposition "démocratique" qui, par démagogie, leur voue le même sort si elle arrive à renverser Milosevic. La volonté d'indépendance des Kosovars ne se forge ni sur la haine des Serbes, ni sur le rêve d'une grande Albanie mais chaque jour de massacres et d'exodes tolérés sur le terrain par la communauté internationale renforcera naturellement les extrémismes.

 

La Serbie se saigne dans une guerre coloniale au Kosovo. Frappes de l'OTAN ou pas, le Kosovo permet à Milosevic et aux nationalistes d'éradiquer les mouvements démocratiques et les médias indépendants, de détourner l'économie au profit de leurs clientèles et d'entretenir des forces policières et paramilitaires qui leurs sont dévouées.

Cette deuxième forme d'intervention terrestre au Kosovo peut être un soutien conditionnel à l'UCK sur le modèle effectué par les États-Unis en Bosnie à partir de 1994 : le plan "Train and Equip" des forces croates et bosniaques a permis le renversement de la situation militaire sur le terrain face aux nationalistes serbes qui, affaiblis par les frappes de l'OTAN, signèrent la paix de Dayton. Ce que l'on dit moins, c'est qu'il a aussi permis aux Américains d'empêcher une potentielle dérive islamique de l'armée et de certains dirigeants bosniaques.
Que ceux qui crient au danger pan-albanais et au terrorisme islamique se rassurent, il est possible de s'assurer du contraire. Les Kosovars albanais sont, comme l'étaient les Bosniaques musulmans, acculés et démunis face à une armée d'extermination. Ils accepteront de l'aide d'où qu'elle vienne, aux Européens et aux États-Unis de leur tendre la main en dictant leurs conditions exclusives.

 

C

omme beaucoup d'anciennes républiques fédérées de Yougoslavie, le Kosovo veut avant tout fuir le délire nationaliste serbe. Tous ces pays, devenus indépendants mais ruinés, ne voient leur développement économique et démocratique qu'à travers une nouvelle intégration supranationale : l'Union Européenne. Comme en 1945, il aura fallu des charniers pour nous rappeler l'impératif de la construction européenne, fasse que ceux des Balkans ne soient pas simplement facturés en Euros, sur le compte d'une stricte aumône humanitaire. L'intervention militaire internationale doit absolument agir sur le terrain. Sinon les frappes aériennes de l'OTAN sur la Serbie reviendront indirectement à frapper les Kosovars, à la merci des représailles serbes et sans aucun moyens de retour.
Ce nouveau bras de fer avec Milosevic doit aussi être le dernier, les gouvernements américain et européens ont largement amassé assez de preuves en dix ans de conflits en ex-Yougoslavie pour envoyer Milosevic au Tribunal Pénal International de La Haye. Il n'est plus possible que la France, par pure Realpolitik, fourvoie ses valeurs et hypothèque à nouveau la paix dans les Balkans en signant un nouvel "accord de paix" avec un tel individu. De même, il faudra un règlement global de la crise en ex-Yougoslavie. Il ne faut plus séparer les guerres et les "paix" en s'imaginant "circonscrire" les conflits sur le dos des populations. Il faut une volonté internationale pour imposer aux partis nationalistes au pouvoir le retour des réfugiés et déplacés en Croatie (Krajina), en Bosnie-Herzégovine (notamment dans les zones nationalistes serbes et croates) et bien sûr au Kosovo.
La constitution de la Bosnie-Herzégovine concoctée par la diplomatie occidentale doit être revue sur des règles électorales et des principes politiques non pas communautaristes et ethniques mais citoyens, les "entités" qu'elle a créé doivent être rassemblées sur un modèle fédéral ne laissant aucune prise à l'irrédentisme serbe et croate.
Les criminels de guerre recherchés par le Tribunal Pénal International doivent être arrêtés, y compris et surtout ceux qui se trouvent dans le secteur français et américain de la SFOR. , c'est à dire notamment Mladic et Karadzic.

 

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