Rambouillet : vers un Dayton-bis ?




Vendredi 15 janvier : 45 Kosovars de communauté albanaise ont été tués par les forces Serbes au Kosovo. Après trois heures et demi de réunion, la communauté internationale s'est contentée de condamner le massacre sans pour autant décider d'une intervention militaire. Pourtant, depuis Noël, Belgrade n'a cessé de violer l'accord du cessez-le-feu signé en octobre qui prévoyait le retrait du Kosovo de l'armée yougoslave.

45 civils tués d'une balle dans la nuque, sous le regard des vérificateurs de l'OSCE (Organisation pour la Securité et la Coopération en Europe), contraints à une indifférence passive. Le spectre de la purification ethnique semble dans les Balkans prévaloir sur le droit international. Face à l'ampleur des massacres, William Walker, chef de la mission de vérification de l'OSCE, n'a pu qu'admettre la logique d'extermination et de terreur mise en œuvre par Slobodan Milosevic. Il semble urgent que la communauté internationale mette fin à sa politique de complaisance à l'égard du régime de Belgrade et "ne se contente pas d’avoir des observateurs internationaux au niveau des autopsies "(Louise Arbour : procureur du Tribunal Pénal International). L'armée de Libération du Kosovo (UCK) expression légitime de la résistance kosovarde, néanmoins taxée de terrorisme par les grandes puissances — ce à quoi Behlal Beqcaj, analyste politique de Pristina, réplique que " l’UCK est un bouclier contre le terrorisme d’Etat, Etat qui a fait tout ce qu’il a pu pour endommager le Kosovo et tuer le plus d’Albanais possible, dans les limites acceptées par la communauté internationale " — s'impose aujourd'hui comme un interlocuteur incontournable pour un règlement durable de la crise. Convoquée à Rambouillet, pour une conférence de paix initiée par la communauté européenne, l’UCK n’est pas pour autant en position de faire valoir le droit à l’indépendance de la province. Même dans le cas où la délégation albanaise se mettrait à parler d’une seule voix, les négociateurs occidentaux veulent ménager les susceptibilités serbes.


Un peuple victime de l’irrédentisme serbe


Privée de ses droits les plus élémentaires, la population albanaise du Kosovo (90% des habitants) réclame depuis plus de 10 ans déjà une issue au régime d'apartheid qui lui est imposée par le pouvoir serbe.

C’est en 1989 que le gouvernement de Slobodan Milosevic procède à une usurpation illégale des pouvoirs constitutionnels du Kosovo. La constitution yougoslave de 1974 lui accordait le statut de province autonome dans la République de Serbie. A la mort de Tito en 1980, les nationalismes s'exacerbent sur un fond de crise économique et identitaire. Le Kosovo va servir de catalyseur à la propagande ségrégationniste de Belgrade. En 1986, commence à circuler sous le manteau en " mémorandum " de l’Académie des Sciences et des Arts de Belgrade faisant état d’un " génocide physique, politique, juridique, culturel de la population serbe du Kosovo". Cette paranoïa s’appuie sur l’émigration des Serbes du Kosovo qui à partir de 1945 quittent massivement cette province déshéritée. La proportion de la population albanaise est passée de 60% en 1905 à 90% en 1991, la vitalité démographique des Albanais est assimilée par les nationalistes de Belgrade à une volonté politique de domination.

Une date domine aux yeux des nationalistes serbes, constitutive du mythe fondateur de la Serbie : c’est celle de la bataille perdue du Champ des Merles qui opposa une coalition de peuples balkaniques et chrétiens (Albanais, Bosniaques, Roumains, Bulgares, Hongrois et Serbes) sous le commandement du prince serbe Lazare et les Turcs en 1389. Symbole de la résistance des peuples balkaniques face à l ‘Empire ottoman, les nationalistes serbes ont récupéré l'événement à leur seul profit : en 1989, c’est pour le 600e anniversaire de cette bataille que Milosevic déclarait sur le Champ des Merles : " Nous voici à nouveau obligés de combattre ou de nous y préparer, sauf qu’il ne s’agit pas d’une lutte armée, encore qu’on ne puisse l’exclure... ".
 


De la résistance passive à la résistance armée


Cette politique ultra-nationaliste se traduit par la suppression en 1991 du statut de "  province autonome " du Kosovo par le parlement Serbe, en parfaite violation de la constitution Yougoslave. La réaction albanaise s’est traduite par l ‘expérience extraordinaire de la mise en place d’une société "parallèle ", prenant en charge tous les aspects de la vie sociale, depuis la scolarisation systématique des enfants dans les écoles "clandestines" en langue albanaise, jusqu'à la mise en place d’un système de santé et le développement d’une économie privée, répondant aux licenciements de tous les Albanais des emplois publics. Les Albanais répondent à la violence de l’Etat par une stratégie de "résistance non-violente" concrétisée notamment par la proclamation symbolique d’une République du Kosovo présidée par Ibrahim Rugova en 1992.

10 ans de revendications pacifiques sous l’instigation d’Ibrahim Rugova, 10 ans de vaines démarches pour alerter l’opinion internationale n’auront pourtant pas permis de dégager de réponses politiques à la crise du Kosovo.

En choisissant Milosevic comme interlocuteur privilégié à la table de négociations de Dayton, qui visaient en 1995 à mettre un terme au conflit bosniaque, la communauté internationale s’interdisait de soulever la question du Kosovo.

Oubliée du cadre des accords de Dayton, la lutte pacifique de Rugova commence à montrer ses limites face à une oppression serbe continue. C’est en février 1996 que l’Armée de Libération du Kosovo (UCK) revendique ses premiers attentats contre la police serbe, et en novembre 1997 qu’elle apparaît physiquement pour la première fois lors de l’enterrement d’un instituteur tué par des policiers serbes. Elle recevra un soutien massif de la population albanaise à partir du massacre de la Drenica, qui marque le début d’un déploiement de l’armée yougoslave au Kosovo en février 1998.

De la même façon que la Ligue Démocratique du Kosovo (LDK) de Rugova a été pendant presque une décennie le mouvement pacifique d’opposition, l’UCK devient l’expression violente de cette même opposition.

Sept mois de combats violents font réagir la communauté internationale qui impose un cessez-le-feu à Milosevic ainsi que le retrait des forces militaires serbes en octobre 1998. Au mépris de l’ultimatum, la brutale répression de Belgrade face aux volontés d’indépendance des Kosovars s’est exacerbé depuis Noël pour atteindre son paroxysme à Racak.


L’indépendance en question


Les grandes puissances seraient bien avisées d’accroître leur pression sur Milosevic pour l’amener à mettre fin au dernier régime colonial d’Europe. Si la communauté internationale condamne presque unanimement (sauf la Russie) le pouvoir meurtrier et exterminateur de Slobodan Milosevic, elle n’en reconnaît pas pour autant légitime la volonté d’indépendance des Kosovars, considérés comme simple minorité de l’ensemble de la République Fédérale de Yougoslavie (RFY). Alors que les Républiques de Croatie, Slovénie, Bosnie-Herzégovine et Macédoine accédaient à l’indépendance suite à un référendum populaire et une reconnaissance internationale, les grandes puissances refusent cette destinée à la province du Kosovo pourtant munie des même droits que les Républiques. L’indépendance du Kosovo serait aussi, selon la Communauté internationale, contraire au principe du maintien des frontières existantes et compromettrait l’équilibre des Balkans. Toutefois, dans les régions situées plus au sud et notamment en Macédoine, la situation apparaît bien différente : il s’agit de peuples minoritaires au sein d’une province ou d’une république et non d’une population très largement majoritaire menacée dans sa survie même comme dans le cas du Kosovo.

Dans ce contexte, le droit à l’autodétermination des Kosovars semble le préalable à toute tentative de stabilisation des Balkans. Ce principe ne figure pourtant pas à l’ordre du jour de Rambouillet qui pour arracher des concessions sur une autonomie rassurera les Serbes sur le maintien du Kosovo dans leur espace national et parallèlement fera miroiter aux Albanais l’alouette d’une autre discussion dans trois ou cinq ans, sur un statut définitif qui ne ruinerait pas formellement leur rêve d’indépendance. Plus tard, sur le terrain, on s’appliquera à faire progressivement baisser la tension et à préparer l’avenir en dynamisant tous les éléments modérés et en évitant surtout, par exemple, d’accepter le remplacement des forces de sécurité serbes par une police autonome albanaise exclusivement issue des rangs de l’UCK. . L’UCK dispose depuis peu d’un commandement unique dont les membres commencent à sortir de l’ombre. L’UCK s’est également dotée en juin 98 d’un représentant politique en la personne d’Adem Demaçi, un opposant radical au dirigeant pacifiste, Ibrahim Rugova, et qui a passé 28 années dans les prisons de Yougoslavie pour son action en faveur de l’indépendance du Kosovo.

En 11 mois près de 2000 morts et 300 000 réfugiés... Et une communauté internationale très embarrassée !

" Le jour viendra où le Président Milosevic nous annoncera solennellement à la télévision que nous venons, enfin, de nous débarrasser du Kosovo. Les morts, les blessés, les tabassés, les détenus, les harcelés, les chassés et toutes les autres victimes de ce conflit de faible intensité seront considérés comme autant de dégâts connexes, inévitables lorsqu’on réalise de grands projets d’Etat ". Milos Vasic.

GUERNICA  A.D.P.E.



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