LA BOSNIE-HERZEGOVINE

AU CŒUR DU CYCLONE YOUGOSLAVE

Petit résumé d'Histoire contemporaine à l'usage des profanes

I. LA FIN DE LA REPUBLIQUE FEDERALE DE YOUGOSLAVIE

II. BELGRADE ET LA "GRANDE SERBIE"

III. LA PURIFICATION DITE ETHNIQUE

IV. ZAGREB A L'ECOLE DE BELGRADE

V. BOSNIE-HERZEGOVINE, L'ABIME…

VI. DAYTON OU LA PAIX BACLEE
La Bosnie-Herzégovine de Dayton


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I. LA FIN DE LA REPUBLIQUE FEDERALE DE YOUGOSLAVIE





        L'effondrement de la fédération yougoslave est un processus complexe ; le replis nationaliste des dirigeants communistes en Serbie, en Croatie et en Slovénie est directement lié à la destruction progressive de la fédération depuis les années 80.

En 1989, la Serbie est gouvernée par Slobodan Milosevic un ancien dirigeant communiste qui entend placer son pays à la tête d'une Yougoslavie dont le pouvoir centralisé à Belgrade reproduirait la domination de la dynastie serbe du Royaume de Yougoslavie de l'entre-deux-guerres.

Cette politique s'est déjà traduite par la suppression des régions autonomes en Serbie : le Kosovo et la Voïvodine. L'armée fédérale intervint déjà de manière partiale en cautionnant l'installation par Belgrade d'un véritable régime d'apartheid à l'encontre de la majorité des kosovars d'origine albanaise.

En Croatie et en Slovénie, ces républiques les plus riches du pays vont évoluer vers l'indépendance officiellement en réaction à l'hégémonie serbe mais aussi par replis national et par refus de partager les richesses au sein de la fédération. En Croatie, le mouvement d'indépendance est portée par le nationaliste Franjo Tudjman.

Mais les causes de l'éclatement de la Yougoslavie se retrouvent aussi dans le régime communiste de Tito. Celui-ci n'a pas suffisamment développé la notion de citoyenneté dans un pays où les habitants se sont constitués au cours de l'histoire en véritable communauté lors de la conversion au catholicisme, à l'orthodoxie ou à l'islam.

En outre, l'amnésie collective imposée par Tito après 1945 fut une catastrophe : sacrifiés au nom de la réconciliation nationale et de la geste révolutionnaire, les éléments et les événements d'une guerre civile sur fond de lutte contre l'occupation allemande et italienne furent occultés … laissant des générations s'entourer de mystères et de rumeurs, empêchant toute clarification officielle, toute reconnaissance mutuelle des responsabilités dans les massacres intercommunautaires de la seconde guerre mondiale.

Cette amnésie va servir les nationalistes de la fin des années 80 qui utiliseront les mythes et les paranoïas collectives issus de la dernière guerre.

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II. BELGRADE ET LA "GRANDE SERBIE"

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A. Consolidation politique

        Renonçant rapidement à contrôler l'ensemble de la fédération yougoslave, Slobodan Milosevic décide de former une nouvelle Yougoslavie menée par la Serbie et rassemblant tous les Serbes, y compris ceux de Croatie et de Bosnie-Herzégovine.

Qu'est-ce que le nationalisme "Grand-Serbe" dans les années 80 et 90 ? C'est la jonction des thèses pan-serbes portés par certains milieux universitaires (Mémorandum de l'Académie des Sciences serbe de Belgrade appelant au "rassemblement des Serbes en un seul état"), par des partis et des personnalités se revendiquant du mouvement tchetnik …avec l'ambition et le pouvoir de Slobodan Milosevic, issu de l'appareil d'état communiste.

Depuis 1990, les élections ont donné une base nationaliste majoritaire parmi les minorités serbes de Croatie et de Bosnie-Herzégovine. Une propagande abondante des médias de Belgrade se déverse depuis quelques années sur une population culturellement tournée vers la Serbie. La télévision, pilier du régime de Milosevic, entretient cette paranoïa collective issue de la seconde Guerre Mondiale en passant des programmes violents à l'excès :

- Des "documentaires" sur les massacres des Oustachis (les milices croates pro-nazis pendant la deuxième Guerre Mondiale).

- Des commémorations de batailles du treizième siècle où des seigneurs orthodoxes luttèrent contre l'expansion de l'empire ottoman. Ces commémorations visent indirectement les musulmans du Kosovo, de Serbie et de Bosnie-Herzégovine.

Le régime de Belgrade réussit progressivement à assimiler la sécurité des populations serbes à la survie d'un état yougoslave.

Au niveau international, le régime se désigne habilement comme pouvoir fédéral légitime face au "séparatisme" des autres républiques. L'intervention sur tout le territoire de l'armée fédérale yougoslave est ainsi justifiée. Mais l'armée s'était déjà révélée comme un instrument du régime que ce soit au Kosovo ou dans les rues de Belgrade pour réprimer une manifestation de l'opposition en Serbie en mars 1991 au seul profit de Milosevic.

A l'Ouest on admet cependant qu'elle agit dans les autres républiques de la fédération afin de "protéger "les Yougoslaves ne désirant pas quitter la fédération, c'est à dire les minorités serbes.

Au commencement de la guerre la "Yougoserbie" de Milosevic contrôle les anciennes régions autonomes (Kosovo et Voïvodine) et le Monténégro dont elle a réussi à avorter le processus d'indépendance. Elle dispose du soutient actif des minorités serbes de Croatie et de Bosnie-Herzégovine dont les dirigeants nationalistes proclament respectivement en 1991 et 1992 la sécession de territoires autoproclamés "République Serbe de Krajina" (RSK) en Croatie et "République Serbe" (RS) en Bosnie-Herzégovine.

B. Les conquêtes

        Le régime de Belgrade contrôle de manière quasi exclusive l'armée yougoslave, la JNA (Armée Populaire Yougoslave), par le biais de sa haute hiérarchie se composant d'officiers complaisants ou nationalistes qui sont quasiment tous serbes. La JNA va organiser le démantèlement des usines d'armement et l'évacuation des dépôts d'armes et de munitions des républiques de Croatie, de Bosnie-Herzégovine et de Macédoine vers la Serbie. L'essentiel de l'aviation et de la flotte sont conduits en lieux sûrs. La JNA étant jusqu'alors l'armée fédérale "de tous les Yougoslaves", tous les officiers et appelés "non serbes" sont évincés ou désertent d'eux même.

L'étape suivante est l'armement des milices issues des mouvement politiques irrédentistes en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. Disposant ainsi de forces supplétives locales encadrées par des officiers nationalistes de la JNA, bénéficiant du ravitaillement, des transmissions, de l'aviation, de l'artillerie lourde et des blindés de la JNA, les forces nationalistes serbes vont conquérir en une année un quart de la Croatie et 70% de la Bosnie-Herzégovine.

Ils n'ont en face d'eux que des civils qui ne résistent guère qu'en milieux urbains et les "exploits" militaires des "armées" serbes se limitent aux sièges et aux bombardements de poches autour de Vukovar, Osijek en Croatie, Sarajevo, Gorazde, Srebrenica, Tuzla, Bihac, Mostar en Bosnie-Herzégovine. Cette guerre se fit contre des civils, et ce ne fut pas un hasard. L'objectif pan-serbe ne se limite pas à occuper des territoires mais à éradiquer toute population "non-serbe" de ces territoires.

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III. LA PURIFICATION DITE ETHNIQUE

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La politique de purification dite ethnique poursuit plusieurs objectifs :

        - La fuite des "non-serbes" par la terreur qu'engendrent les massacres et la constitution de territoires artificiellement
           mono-communautaires.
        - La capture et souvent l'élimination physique de tous les hommes en âge de combattre et susceptibles de participer à
           une résistance armée.
        - La création de haines irrémédiables entre les communautés

        Dans les zones conquises par les nationalistes serbes, les maisons des "non-serbes" sont systématiquement pillées et dynamitées. Leurs habitants, d'abord déportés dans des camps de concentration qui furent progressivement démantelés sous les pressions internationales, sont systématiquement persécutés et chassés vers la zone gouvernementale.

Les hommes sont soumis à des traitements allant à l'encontre des Conventions Internationales de Genève sur les prisonniers de guerre (tortures, travaux de forces dans les tranchées en première ligne,…) ou bien exécutés arbitrairement (comme lors de la chute de la poche de Srebrenica sous "protection" de l'ONU : Entre 8 000 et 10 000 hommes sont abattus par les nationalistes serbes, avec des femmes et des enfants fuyant l'enclave). Délations, chantages, viols et meurtres devant les proches, déportations, exécutions massives et sommaires, fosses communes et charniers de centaines de corps replongent l'Europe dans son passé.

La sélection des victimes se fait sur des bases communautaires, et non pas ethniques comme le ressassent les médias occidentaux.

En effet, si on rentre vraiment dans la logique ethnique, les Bosno-Herzégoviniens "Musulmans", "Serbes" et "Croates" sont tous slaves. Les clivages communautaires n'ont donc pas de fondements ethniques.

La situation est plutôt proche du XVIième-XVIIième siècles en France. Les gens se sont constitués au cours de cette période en véritables communautés selon leur appartenance au catholicisme ou au protestantisme. Généralement, les campagnes sont assez cloisonnées, les villages étant plutôt monocommunautaires (mais les villages sont eux-mêmes imbriqués les uns les autres dans l'espace rural), tandis que les villes sont peuplées par toutes les communautés.

Avec les guerres de religion, les communautés se structurent en réseaux ou groupes de pression ayant alors une vocation politique, celle de "défendre" leur communauté. La France se divise ainsi en regroupements de villes, de places fortes, et de villages acquis à telle ou telle communauté. La principale différence avec la situation actuelle en Bosnie-Herzégovine, c'est que la communauté religieuse est devenue une nationalité…

Cette conception ethnico-religieuse de la Nation dans les Balkans met à mal celle de la Révolution Française d'un rassemblement contractuel de citoyens désirant vivre ensemble. Quand les nationalistes dépassent la "fiction ethnique", c'est pour nier le droit des autres communautés au statut de nationalité : généralement, les nationalistes serbes (et croates) considèrent que les Musulmans sont en fait des Serbes (ou des Croates) qui "ont mal tourné", s'étant convertis à l'islam, et qu'il s'agit de ramener dans le "droit chemin", par n'importe quel moyen.

Les seuls moyens des nationalistes (et par la même occasion, des diplomates et des médias occidentaux) de classifier systématiquement les gens en ethnies sont :

        - Leur religion (pour peu qu'ils en aient une et qu'ils l'affichent)
        - Leurs prénoms (les Musulmans, par exemple, ont souvent des prénoms turcs ou arabes)
        - La notoriété de leurs origines (si le voisinage connaît la religion de leurs parents ou grands-parents)

        La religion n'est pas la cause directe ni même le but de la guerre. Mais les symboles représentant l'harmonie et le bon voisinage des religions et des cultures des différentes communautés doivent disparaître.

Dans les zones nationalistes serbes et croates, les édifices religieux des autres communautés (notamment les mosquées, même tricentenaires) sont systématiquement dynamités. Mais cette politique s'étant à des symboles non-religieux comme la Bibliothèque Nationale de Sarajevo ou encore le Vieux Pont de Mostar.

La politique de purification ethnique a ses exécutants. Les milices nationalistes serbes sont le plus souvent désignées sous le vocable de "Tchetniks". Historiquement royalistes, ces milices luttaient théoriquement contre l'invasion allemande durant la deuxième Guerre Mondiale et pour le rétablissement de la dynastie serbe sur la Yougoslavie. Sous la direction de D. Mihailovic, elles furent néanmoins armées par les troupes de Mussolini (!) pour lutter, dans la zone d'occupation italienne, contre les partisans de Tito. Les Tchetniks "s'illustrèrent" aussi dans de terribles massacres à l'encontre des populations musulmanes, dites "turques". Ils furent finalement battus par les partisans en 1945.

Au début des années 90, des groupes paramilitaires "néo-Tchetniks" opérèrent à nouveau en Croatie et surtout en Bosnie-Herzégovine. Leurs principaux chefs étaient Arkan et Seselj dont les milices furent créées en Serbie, armées et transportées par la JNA. Les volontaires venaient de Serbie, du Kosovo ou du Monténégro. Mais d'autre s'impliquèrent parmi les minorités serbes endoctrinées de Croatie et de Bosnie-Herzégovine.

Les Tchetniks étaient partie intégrante de "l'armée" de la "république serbe" de Bosnie. Cette dernière a été mise en place par Belgrade pour que la JNA puisse officiellement se retirer ; mais elle était essentiellement composés de Bosniaques serbes embarqués, souvent malgré eux, dans une guerre civile.

Les responsables des crimes contre l'Humanité et des crimes de guerre sont ceux qui ont organisé et dirigé l'agression militaire contre la population civile, ceux qui ont planifié et organisé les massacres, ceux qui ont incité à la haine, au racisme et aux violences intercommunautaires.

Le Tribunal Pénal International de la Haye pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) a ainsi inculpé Ratko Mladic, officier de la JNA envoyé par Belgrade en Croatie en 1991 puis en Bosnie-Herzégovine en 1992 pour encadrer les milices nationalistes serbes. Chef des forces armées de la "république serbe" autoproclamée en Bosnie-Herzégovine, il est personnellement impliqué dans les massacres de Srebrenica. Inculpé aussi, Radovan Karadzic, "président" de cette même "république" et chef politique du SDS, le parti nationaliste et irrédentiste serbe en Bosnie-Herzégovine.

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IV. ZAGREB A L'ECOLE DE BELGRADE

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        Face à l'hégémonie nationaliste serbe sur les institutions fédérales yougoslaves, la Croatie élit un nationaliste basant son programme sur l'indépendance, Franjo Tudjman, chef du parti HDZ (Communauté Démocratique Croate). Mais quand l'indépendance du pays est enfin reconnue par la communauté internationale, les sécessionnistes serbes et la JNA contrôlent déjà un quart du territoire.

L'invasion cesse d'elle-même à la fin de l'année 1991, les nationalistes serbes ayant atteint leurs objectifs. Quand les "casques bleus" de la FORPRONU s'installent finalement le long de la ligne de front pour "séparer les belligérants", l'essentiel des forces nationalistes serbes poursuivent déjà leur offensive en Bosnie-Herzégovine… L'embargo international sur les armes oblige alors les Croates à accepter momentanément le gel des conquêtes serbes par l'ONU.

Mais pour le président croate, ancien général, deux objectifs s'imposent : contourner l'embargo pour mettre sur pied une armée croate capable de passer à la contre-offensive, et enfin s'appuyer politiquement et militairement sur la minorité croate de Bosnie-Herzégovine.

En 1990, le HDZ de Franjo Tudjman remporte les élections en Croatie… mais il est aussi le troisième parti en Bosnie-Herzégovine où il s'impose comme le principal "défenseur" de la minorité croate.

Le HDZ projette depuis longtemps la sécession de l'Herzégovine et de la Bosnie centrale. Son programme est aussi limpide que celui des nationalistes serbes : séparation des communautés, constitution de territoires homogènes "ethniquement" par les armes, rattachement à la Croatie.

En 1993, Franjo Tudjman et Slobodan Milosevic s'entendent sur un partage de la Bosnie-Herzégovine en deux zones d'influence, croate et serbe (en quelque sorte une Grande-Serbie et une Grande-Croatie), ce qui se traduit sur le terrain par :

        - La proclamation de la "république croate d'Herceg-Bosna" en Bosnie-Herzégovine.
        - L'attaque du HVO (milices nationalistes croates créées par le HDZ) contre les forces du gouvernement de Sarajevo.
        - L'arrêt des hostilités entre les milices nationalistes serbes et croates en Bosnie-Herzégovine avec, localement, certaines
          alliances tactiques.
        - L'intervention en Bosnie-Herzégovine de troupes régulières de la Croatie voisine aux côtés du HVO.
        - Une politique de terreur et de massacres suivant les mêmes méthodes et les mêmes objectifs que les forces
           nationalistes serbes. Tâche où se distingue là aussi des milices sorties de l'Histoire, les groupes paramilitaires oustachis,
          du nom des milices de l'état croate pro-nazi d'Ante Pavelic, auteur de grands massacres à l'encontre, notamment, des
           minorités serbes de Croatie et de Bosnie-Herzégovine durant la deuxième Guerre Mondiale.

        Les relations entre la "république d'Herceg-Bosna" et le pouvoir nationaliste en Croatie sont encore plus évidentes qu'entre la "république serbe" et Belgrade. L'Herceg-Bosna s'avère être un puissant lobby en Croatie. Elle exerce l'influence de son économie quasi-mafieuse (pillage ou "droit de douanes" exorbitants sur les convois humanitaires internationaux pour la Bosnie obligés de traverser leurs territoires, mafia et investissement dans le tourisme sur la côte adriatique, trafics d'armes d'essence ou encore revenus des pèlerinages de Medjugorje, le "Lourdes des Balkans").

Elle constitue enfin et surtout un soutien politique et électoral incontournable pour Franjo Tudjman. Le président et le HDZ ont ainsi remporté à nouveau les élections de l'après-guerre grâce à un mode de scrutin pour le moins contestable : Zagreb a donné la nationalité croate et le droit de vote aux élections en Croatie à la "diaspora", donc à la minorité croate de Bosnie-Herzégovine…qui vote massivement pour le HDZ.

Le président Tudjman a donc besoin des appuis politiques des nationalistes croates de Bosnie-Herzégovine (même si certain sont parfois recherchés par le Tribunal Pénal International pour crimes contre l'Humanité ou crimes de guerre) pour se maintenir au pouvoir en Croatie.

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V. BOSNIE-HERZEGOVINE, L'ABIME…
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        En 1993, la Bosnie-Herzégovine est dans une situation cauchemardesque.

        La situation militaire est catastrophique. La jeune Armée de la République de Bosnie-Herzégovine (ARBiH) subit de plein fouet l'embargo international sur les armes et la résistance se limite aux montagnes et aux villes, qui subissent des sièges meurtriers.
        La situation politique est encore pire ; la sécession des nationalistes croates achèvent de transformer les divisions politiques sur des bases communautaires en partages territoriaux.

En 1990, les élections avaient déjà consacrées la domination du paysage politique par des partis communautaires, le SDA pour les Musulmans, le HDZ pour les Croates, et le SDS pour les Serbes. Le SDS et le HDZ ayant définitivement opté pour une politique irrédentiste et pour la séparation par les armes des communautés, la zone gouvernementale devient de fait le lieu de refuge des populations persécutées qui sont en majorité "musulmanes".

Le gouvernement est dirigé par Alija Izetbegovic, chef du SDA, élu président de la république de Bosnie-Herzégovine. Le président joue un rôle modérateur qui se veut consensuel, mais son parti reste sectaire : il doit tenir compte de sa base électoral la plus fidèle, les communautés musulmanes des campagnes, souvent réfugiées et dépossédées de leurs biens et terres par les avancées des troupes nationalistes.

Durant la guerre, le gouvernement apparaît comme un gouvernement d'Union Sacrée, notamment avec la présence de modérés comme le Premier Ministre Haris Silajdzic. Il maintient un discourt unitaire et citoyen et forme une armée régulière - l'ARBiH - sur un modèle républicain et non pas communautaire (ainsi le n°2 de l'Etat-major de l'armée est un Bosniaque serbe). Mais Sarajevo n'arrive pas à gagner la confiance des minorités serbes et croates : les réfractaires à la propagande nationaliste de leur communauté quittent souvent le pays, peu finalement rejoignent le camp gouvernemental et l'armée reste majoritairement "musulmane".

On a souvent soupçonné le SDA de souhaiter un "Etat Musulman". Le fait est qu'il a dû compter avec une communauté musulmane urbanisée, traditionnellement modérée et critique. Il fallait aussi composer avec les médias indépendants (éradiqués dans les zones nationaliste mais présent dans la zone gouvernementale), les petits partis et mouvements citoyens de Tuzla et Sarajevo. Notons aussi que la vigilance et les pressions des ONG, des médias et des diplomates occidentaux était bien plus efficaces dans Sarajevo assiégée et dépendante de l'aide internationale que dans les campagnes tenues par les milices nationalistes.

Malgré cela, l'ONU et les gouvernements européens mettront sur un pied d'égalité agresseurs et agressés.

Ils refusent de prendre parti dans un conflit où ils présentent les trois "belligérants" comme des "ethnies" ennemies aux responsabilités égales dans ce qui ne serait qu'une guerre tribale. Les Forces de Protection de l'ONU (FORPRONU) sont seulement chargée de protéger les convois humanitaires et les populations, ce qu'elles n'ont jamais pu faire, officiellement sans mandats adéquats, mais le plus souvent sans même d'ordres de la part des gouvernements occidentaux.

Les gouvernements de l'Union Européenne se mettent alors à concocter des "plans de paix". Ceux-ci nient, dans les principes, la citoyenneté sur laquelle sont fondées nos démocraties en partageant arbitrairement le pays en territoires attribués définitivement à une communauté et entérinent, dans les faits, les annexions pan-serbes et pan-croates. Un général français de la FORPRONU parle même de "processus munichois". Naturellement ces plans échouent. D'abord parce que les nationalistes serbes n'ont pas essuyés de revers militaires, parce que les nationalistes croates continuent les combats contre les forces gouvernementales en Bosnie centrale et à Mostar, et, en termes de realpolitik, parce que le gouvernement de Sarajevo reste intransigeant sur un Etat constitutionnellement unitaire.

Les Etats-Unis résolvent l'équation à partir de 1994. Ils n'émettent aucune condamnations lorsque la Croatie contourne l'embargo sur les armes ou lorsque, bousculant les "casques-bleus", elle reprend par les armes les territoires sécessionnistes serbes en Croatie. En contrepartie ils imposent à Franjo Tudjman l'arrêt des combats contre le gouvernement de Sarajevo, des accords de paix et une nouvelle alliance militaire contre les nationalistes serbes.

Les troupes croates, le HVO et l'ARBiH poursuivent alors, côte à côte, leurs opérations en Bosnie-Herzégovine contre les forces nationalistes serbes. Finalement, ces dernières, affaiblies par les frappes aériennes de l'OTAN, perdent du terrain. Ils optent précipitamment pour des accords de paix qui arrêteraient la perte de nouveaux territoires.

Les Etats-Unis obtiennent ensuite de Sarajevo des concessions constitutionnelles sur l'unité du pays contre une promesse d'armement de l'armée gouvernementale (ce qui leur permet d'éliminer la "concurrence" diplomatique et commerciale d'états islamiques).

Dès lors, souhaités par les trois parties, les accords de paix sont signé sur la base aérienne de Dayton, aux Etats-Unis, en octobre 1995.
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VI. DAYTON OU LA PAIX BACLEE

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    La "Pax Americana" est d'abord accueillie avec soulagement par la population. Elle annonce la fin des combats, des bombardements et des sièges.

Mais le déploiement de troupes au sol par les Etats-Unis et la constitution d'une nouvelle force multinationale, sous commandement de l'OTAN et non plus de l'ONU, ne signifie pas que nos gouvernement conçoivent une autre forme de paix.

Les impasses sur la citoyenneté, la démocratie, l'indépendance et l'unité du pays qui caractérisaient les précédents "plans de paix" européens durant la guerre se retrouvent dans les accords de Dayton. La Communauté Internationale (c'est à dire ici l'Union Européenne, les Etats-Unis et la Russie) reconnaît la Bosnie-Herzégovine "constituée de deux entités".

Le pays est donc officiellement partagé en deux, ...officieusement en trois :

        - Les nationalistes serbes obtiennent l'essentiel : une forme de reconnaissance internationale. La "République Serbe" qu'ils ont autoproclamé et constitué par le fer et le sang en Bosnie-Herzégovine est officiellement reconnue comme "Entité de Bosnie-Herzégovine". Enfin et surtout, cette "Entité" obtient le droit de se confédérer avec la Serbie, alias la nouvelle république fédérale de Yougoslavie de Milosevic (c'est à dire la Serbie et le Monténégro). L'irrédentisme est maintenant inscrit dans le Droit International sans que cela ne choque plus qu'en 1938, aux accords de Munich sur le partage de la Tchécoslovaquie !

        - La deuxième "Entité" reconnue par Dayton est la "Fédération de Bosnie-Herzégovine", dite "fédération croato-musulmane" dans nos médias. C'est une nébuleuse constitutionnelle censée rassembler les institutions républicaine et unitaire de la république de Bosnie-Herzégovine issue de l'ancienne fédération yougoslave… et la "république croate d'Herceg-Bosna" autoproclamée par les nationalistes croates qui, officiellement, doit disparaître. Les nationalistes croates ont finalement accepté une fédération dont ils arrivent le plus souvent à vider toute substance parce, au même titre que la "République Serbe", cette deuxième "Entité" a le droit de se confédérer avec la Croatie…Dans les faits, la fédération abrite deux états parallèles.

En renonçant à inclure la "République Serbe" dans la "fédération de Bosnie-Herzégovine" et en reconnaissant deux "Entités" artificielles dans une complexité institutionnelle sans précédent, les occidentaux n'ont pas fait que donner raison aux nationalistes en torpillant l'Etat en Bosnie-Herzégovine. Ils ont aussi signé un bail de plusieurs années dans ce pays, du moins aussi longtemps qu'ils entendent y maintenir la "paix". En effet, le départ des forces internationales inciterait les nationalistes à faire jouer les clauses des accords de Dayton pour faire éclater définitivement la Bosnie-Herzégovine en tant qu'état. Ce qui signifie la guerre, encore.

Za "Guernika", "Drugi Most" i "MSIF Festival", S.Chopin, lipanj 1998.

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La Bosnie-Herzégovine de Dayton

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        La situation du pays est étrangement entre guerre et paix. La Communauté Internationale essaye de faire fonctionner l'embroglio constitutionnel qu'elle a mis en place. Mais se faisant, elle prend le risque d'institutionnaliser la partition communautaire et la ségrégation en Bosnie-Herzégovine.

La politique des Occidentaux prend parfois les formes d'un protectorat international lorsque les Américains, pressés de partir, imposent échéances et décisions face à l'immobilisme des partis nationalistes SDS, HDZ et SDA. Ceux-ci se partagent hégémoniquement le pouvoir et s'accommodent très bien de la partition actuelle du pays.

La diplomatie occidentale les a toujours considérés comme les seuls interlocuteurs pour faire fonctionner un état bosniaque qu'ils veulent soit détruire (pour le SDS et le HDZ) soit contrôler (pour le SDA), ignorant les petits partis "citoyens" (c'est à dire d'orientation démocratique et non communautariste).

Les accords de Dayton charge l'Union Européenne de faire appliquer les volets civils des accords. Ces derniers prévoientla liberté de mouvement, le retour des réfugiés, le jugement des criminels de guerre par le TPIY et l'organisation d'élections "libres et démocratiques" sur tout le pays. Tâches pour lesquelles les Européens affichent depuis quatre ans une inefficacité et un manque de volontarisme prononcés.

Le retour des réfugiés reste soumis aux garanties de sécurité que l'on peut leur donner. Dans les zones nationalistes serbes et croates, ils risquent leur vie ; dans l'ancienne zone gouvernementale, ils sont victimes de pressions et de tracasseries administratives téléguidées par le SDA au pouvoir.

L'arrestation des principaux criminels de guerre (notamment Mladic et Karadzic) reste lettre morte. On ne juge pour l'instant que des hommes de paille ; n'oublions pas que les principaux responsables, Milosevic et Tudjman, sont signataires des accords de paix…

L'organisation des élections a été déléguée à l'OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe). Loin d'être "libres et démocratiques", leur bon déroulement dépend de l'application des autres volets civils des accords et du soutien apporté aux médias indépendants et aux mouvements et partis "citoyens" pouvant constituer une alternative à l'oligarchie des partis communautaires.
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Blibliographie indicative


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